«Une croissance démocratiquement négociée», laconique, la formulation est à la fois élégante et incisive. Elégante parce qu'elle invite, non sans une certaine dose de nuances et de subtilité, à la réflexion sur le bien-fondé, la pertinence et la réelle portée du modèle de développement économique et social de la Tunisie d'avant-la révolution du 14 janvier 2011. Et, à cette lumière, à y apporter les correctifs nécessaires conformément aux objectifs et aux valeurs de la révolution, voire à concevoir et à mettre en place un nouveau mode de développement qui viendrait, cette fois-ci, consacrer réellement la corrélation entre les dimensions sociales, environnementales et économiques du développement en y injectant une obligation de transparence et de bonne gouvernance. Associer pour ainsi dire quasi organiquement la démocratie à la croissance, ou plutôt la réalisation d'une croissance forte et inclusive au degré de progression démocratique est également une manière élégante de dire que le plus important n'est guère la réalisation de tel ou tel niveau de croissance. Régénération du secteur privé Le plus important, en l'occurrence, est de réaliser une croissance durable et de qualité, dont les fruits seraient surtout équitablement partagés par l'ensemble des composantes de la communauté nationale. De fait, des taux de croissance de l'ordre de 5% n'ont guère empêché —ou peut-être même entretenu— le flagrant déséquilibre en termes de développement entre les régions du pays. Ces taux salués, par ailleurs, par les institutions financières et monétaires internationales n'ont guère empêché que des centaines de milliers de diplômés du supérieur restent sans emplois. Croissance et démocratie donc pour qu'enfin les déterminants de la croissance, à savoir l'investissement et l'exportation, soient régis par un cadre réglementaire à la fois efficient et transparent. Une efficience et une transparence que seul peut garantir une législation démocratique et réellement représentative du peuple souverain. Cependant, outre l'investissement et l'exportation qui sont pour une économie comme la nôtre, les principaux moteurs de la croissance, celle-ci renvoie à un ensemble de facteurs de la qualité dont sont largement tributaires la qualité de la croissance et sa soutenabilité. Il s'agit, on l'aura compris, de l'ensemble des facteurs qui constituent l'environnement propice à l'investissement (infrastructures structurantes et télécommunications, ressources humaines et système d'enseignement et de formation, fiscalité et système de financement de l'économie et de l'entreprise...). A chaque niveau de cet environnement doit correspondre et répondre une politique de développement... démocratiquement définie et arrêtée. Et puis, la croissance c'est avant tout l'entreprise, cette toute petite entité économique créatrice de richesses et plateforme par excellence du progrès social. En plaçant l'entreprise au cœur de la dynamique de croissance, en plaçant la fiscalité au cœur du système de répartition équitable des fruits de la croissance, on met tout particulièrement en débat des questions aussi fondamentales que le partenariat public-privé, la relation Etat-entreprise et plus fondamentalement encore la question d'un nouveau pacte social et sociétal qui viendrait donner enfin du sens aux véritables valeurs que sont le travail et le mérite, la création de valeurs et le profit, l'actionnariat et le droit du travail et… la responsabilité de tous ceux qui font l'entreprise au quotidien, ainsi que de tous ceux qui sont chargés de veiller à sa bonne gestion et à sa pérennité. Ce nouveau pacte définirait par extrapolation tout autant les droits et les obligations des acteurs à l'échelle macroéconomique. «L'entreprise et la croissance». C'est sous ce signe que sont placées les Journées de l'entreprise qui se tiendront les 9 et 10 décembre. La pertinence et l'acuité de la thématique sont évidentes. L'élégance de la formulation précédemment citée ne peut nous empêcher de dire que les Journées de l'entreprise semblent renouer avec l'esprit de ses fondateurs après avoir longtemps été de simples chambres de résonance. Une lecture du programme de la 26e édition fait clairement apparaître une détermination à tourner définitivement la page (une longue parenthèse) de ces dernières années… de cacophonie et de brassages d'idées stériles… Des questions fondamentales seront ainsi soulevées qui ne manqueront pas de jeter les fondements d'une nouvelle réflexion franche et transparente qui a trop longtemps déserté le champ du secteur privé de l'investissement et la sphère tunisienne des affaires. C'est la voie (ou les voies) des pères fondateurs de la réflexion et de l'action économique tunisienne que semble vouloir (ré)emprunter l'Institut arabe des chefs d'entreprise en donnant le ton par son choix pertinent de la thématique générale de la prochaine session des Journées de l'entreprise. On en jugera sur pièces en scrutant tout particulièrement la qualité des intervenants et du débat.