Par Hmida Ben Romdhane Les membres de l'Association des directeurs de journaux, accompagnés de représentants d'instances actives dans le domaine de l'information, ont rendu visite ces derniers jours aux premiers responsables des principaux partis politiques. Nous avons pu rencontrer tour à tour MM. Hamadi Jebali, secrétaire général d'Ennahdha, Ahmed Nejib Chebbi, président du PDP, Moncef Marzouki, président du CPR, et Mustapha Ben Jaâfar, président d'Ettakatol. Ces rencontres étaient fructueuses dans le sens où nous avons fait état en toute franchise de nos inquiétudes, mais aussi de nos espoirs, et dans la mesure où nous avons reçu des nouveaux responsables politiques du pays des assurances fermes concernant leur engagement à défendre bec et ongles les principes fondamentaux de la démocratie, à respecter la liberté de la presse, à promouvoir l'indépendance de la justice, à préserver —tout en les renforçant— les droits acquis de la femme tunisienne et bien d'autres assurances encore. Personnellement, j'étais rassuré en dépit d'un certain nombre d'évidences qui troublent passablement mes espoirs d'établissement d'une démocratie véritable: la différence (très classique) entre l'attitude du politicien dans l'opposition et son comportement une fois arrivé au pouvoir ; l'inexpérience de la nouvelle classe politique, longtemps marginalisée, pourchassée et réprimée par la dictature ; les profondes divergences (artificiellement cachées) entre les principales forces politiques propulsées sur la scène par le vote du 23 octobre et, surtout, l'incertitude quant à la capacité des dirigeants des différents partis, et en particulier ceux d'Ennahdha, à maîtriser leurs troupes et à les convaincre de respecter les principes démocratiques sur la base desquels nous nous apprêtons à construire la Tunisie nouvelle. En dépit de ces évidences perturbatrices, on s'est dit qu'il vaudrait mieux fixer notre attention sur la moitié pleine du verre, faire bénéficier les nouveaux dirigeants du préjugé favorable, en un mot qu'il vaudrait mieux être optimiste et de commencer d'ores et déjà à rêver des lendemains qui chantent. On était allés quémander l'aide de la nouvelle classe politique pour rendre irréversible la liberté de l'information fraîchement acquise, et on s'est rendu compte qu'il y avait parmi nous des ennemis de la liberté de l'information déguisés en défenseurs acharnés de cette même liberté, un peu comme le loup de la fable qui s'est déguisé en grand-mère sans toutefois parvenir à cacher ses longues dents. L'auteur de ces lignes a été victime d'une morsure cruelle infligée sciemment par un prétendu défenseur de la liberté de l'information, membre du syndicat des journalistes de surcroît, au cours d'une émission matinale de la radio nationale. Mais d'abord les faits. Dès notre première rencontre avec le secrétaire général du parti Ennahdha, j'ai pris la peine d'expliquer le changement radical et parfaitement visible intervenu dans le journal La Presse. M'adressant à M. Hamadi Jebali, j'ai dit notamment: «Il y a deux genres de relations qui lient le journal La Presse à l'Etat tunisien: une relation juridique et une relation politique. La relation juridique consiste en la détention par l'Etat de la majorité des actions de la Snipe, société éditrice, et à ce niveau, nous n'avons aucune idée comment les choses évolueront. Nous ne savons pas si l'Etat va changer la nature de sa relation juridique avec La Presse ou s'il va la maintenir en l'état. Nous sommes dans l'expectative, nous attendons. Quant à la relation politique qui a maintenu La Presse soixante quinze ans durant sous domination des administrations successives du résident général, de Bourguiba et de Ben Ali, elle a été brisée le 14 janvier. Depuis, et pour la première fois en trois quarts de siècle, les décisions de ce qui se publie et ne se publie pas sont prises par le directeur du journal en concertation avec le rédacteur en chef et le comité de rédaction.» J'ai ajouté à l'adresse de M. Hamadi Jebali: «Ni les gouvernements de M. Ghannouchi ni celui de M. Caid Essebsi ne nous ont jamais contactés pour nous donner des instructions ou des ordres. Cette indépendance toute fraîche vis-à-vis de l'autorité politique est pour nous un acquis irréversible que nous comptons préserver et développer coûte que coûte.» Alors que je parlais à M. Jebali, le membre du syndicat des journalistes était assis en face de moi. Il me fixait intensément et semblait très attentif à chaque mot que je prononçais. Quelques jours plus tard, il était l'invité d'une émission matinale à la radio nationale et, évoquant mon intervention lors de notre rencontre avec le secrétaire général d'Ennahdha, il a dit ceci: «Le PDG de la Snipe a affirmé : Nous à La Presse, nous ne savons pas quoi faire. Nous attendons les décisions de l'Etat» et d'autres balivernes du même genre. Voilà comment l'information est déformée, maltraitée, dépouillée de sa substance et livrée à l'auditeur sur les ondes de la radio publique par un membre du syndicat des journalistes censé connaître, défendre et diffuser les principes élémentaires de la déontologie journalistique. Le syndicaliste en question a préféré sacrifier la vérité et la déontologie sous la pression du besoin pressant d'assouvir une haine inexpliquée et inexplicable à l'égard du PDG de la Snipe. Que le journaliste-syndicaliste nourrisse une haine à l'égard du PDG de l'entreprise qui l'emploie, c'est son problème. Mais qu'il déforme éhontément les propos de ce dernier dans le but de régler des comptes personnels et dans l'irrespect le plus abject de la vérité journalistique, c'est le problème de toute la profession qui doit s'opposer par tous les moyens légaux à ces ennemis du secteur déguisés en défenseurs du métier du journaliste et de sa profession. Peut-être le syndicat des journalistes devrait-il se résoudre à soumettre tous les candidats qui aspirent à en devenir membres dirigeants au test de l'honnêteté et de la déontologie journalistiques.