Par Soufiane BEN FARHAT La première séance de l'Assemblée constituante nous a plongés de plain-pied dans le registre démocratique. Ce n'était pourtant pas sans escarmouches. Les premières passes d'armes ont donné le la. D'abord, dans la confusion due à quelque écart de langage du président de séance. Puis les votes en vue d'élire le président de l'Assemblée et ses deux assesseurs ont remis les pendules à l'heure. Ceux qui croyaient que l'opposition dans les travées de cette assemblée était laminée d'avance ont dû déchanter. Ces trois dernières semaines, le parti islamiste Ennahdha et ses deux alliés du centre-gauche –CPR et Ettakatol — se sont comportés en majorité écrasante. Point de concession aux perdants. Point de pont de discussion. Plutôt d'interminables réunions à huis clos en vue de se partager sans gêne les présidences (de la République, de l'Assemblée constituante et du gouvernement) et les portefeuilles ministériels. Et l'assurance du vainqueur fort d'une supériorité numérique incontestable. Fait révélateur, l'ordre du jour établi préalablement en vue de la première séance traitait de l'élection du président de l'Assemblée constituante. Au masculin. Comme s'il n'y avait qu'un seul candidat, prévu d'ailleurs d'avance, en l'occurrence M. Mustapha Ben Jaâfar, leader d'Ettakatol. C'était enterrer trop vite le Parti démocratique progressiste (PDP) et les autres partis du centre et du centre-gauche, grands perdants du scrutin du 23 octobre pour la Constituante. Tout les prédisposait pourtant à la marginalisation. Grande surprise des élections, donné favori au début, le PDP a dégringolé au sixième rang, avec seulement seize sièges sur les 217 en lice. Avec ses alliés du Pôle démocratique moderniste (PDM) et du parti Afek, ils ne totalisent que 25 sièges. Ennahdha à lui seul a récolté 89 sièges. Avec le CPR et Ettakatol, ils totalisent 138 sièges. A première vue, c'est un peu le pot de fer contre le pot de terre. Qu'à cela ne tienne. PDP et consorts décident d'avancer une pièce sur l'échiquier. Ils annoncent la candidature de Maya Jeribi, secrétaire générale du PDP, au poste de présidente de l'Assemblée, rivalisant avec le candidat Ben Jaâfar. En face, on sourit à l'idée de la nouvelle raclée que devraient subir le PDP et consorts. Ces derniers tablaient d'ailleurs sur une quarantaine de voix au grand max. ils ne s'en cachaient pas. Et ils assumaient. Histoire d'annoncer la couleur. Grande surprise, Maya Jeribi totalise 68 voix contre 145 pour Mustapha Ben Jaâfar, soit 32% du vote exprimé. Et l'on se met à calculer : Ennahdha, CPR et Ettakatol ont fait le plein de leurs voix tout en glanant une poignée de voix ailleurs. L'opposition, elle, triple quasiment son trop-plein en récoltant 43 voix ailleurs. Son score frise même le tiers bloquant. Ce qui pourrait être lourd de significations à la lumière du projet de règlement intérieur de l'Assemblée constituante. Les réunions y sont préalablement assujetties à la présence des deux tiers des membres. De même, le vote du texte de la Constitution dans son ensemble exige la majorité des deux tiers de voix. Un score impressionniste et aléatoire ? Plus d'un voudraient bien y croire. Pourtant, le score de la troïka dominante (Ennahdha, CPR et Ettakatol) demeurera pratiquement le même lors de l'élection des deux vice-présidents de l'Assemblée avec, respectivement, 142 et 146 voix sur un total de 214 voix exprimées. Cela interpelle l'imagination politique de tous les partenaires. Et cela ne peut que réjouir. Tout pouvoir a besoin d'une opposition solide, d'un contre-pouvoir fort. Autrement, la liberté du plus fort opprime. C'est dire que notre pays entame une nouvelle étape historique. Celle-ci récuse d'emblée l'unanimisme hégémonique dû au monolithisme ou à quelque alliance forte d'une majorité mécanique. Les premiers salamalecs augurent des plats piquants. D'ici le dessert, ce ne sera pas une partie de thé aux pignons et encore moins la cerise sur le gâteau. Les divers protagonistes sont prévenus. Ils s'étaient longuement toisés, parfois dans le ressentiment et le mutisme. Ils voient soudain leurs rapports de force respectifs – ou supposés être tels — chamboulés dès la première séance de l'Assemblée. Maintenant, beaucoup de choses se joueront dans un mouchoir. A risques et périls. Et c'est tant mieux.