Par Soufiane BEN FARHAT • Après les premières escarmouches, rencontre avant-hier entre le S.G. de l'Ugtt et le SG d'Ennahdha Serait-ce l'accalmie après les signes avant-coureurs de l'orage? La rencontre de vendredi entre le secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) et le secrétaire général du mouvement Ennahdha n'est pas passée inaperçue. Abdessalem Jerad et Hammadi Jebali avaient quelque chose de sérieux à se dire. A preuve, la dépêche de l'agence TAP rapporte que la rencontre «a porté sur la conjoncture actuelle dans le pays et sur le rôle de la centrale syndicale durant l'étape transitoire». C'est un secret de Polichinelle en fait. Le Tout-Tunis politique et médiatique sait bien que c'est plutôt mal parti entre la centrale syndicale et la Troïka ayant remporté les élections de l'Assemblée constituante. Les propos de M. Jerad en témoignent. Il a estimé que la rencontre a «permis de clarifier les relations entre l'organisation et les partenaires du mouvement Ennahdha». Une allusion non voilée aux propos du président du groupe parlementaire du Congrès pour la République (CPR), au cours de l'une des séances de la Constituante. L'Ugtt les avait déjà promptement considérés, dans un communiqué, comme étant préjudiciables à la centrale ouvrière. En aparté, les dirigeants syndicaux disent tout leur ressentiment à l'endroit de quelques dirigeants du CPR. D'abord, au lendemain des élections du 23 octobre, aucun dirigeant de ce parti n'a rendu visite à l'Ugtt. Bien pis, des jeunes du parti ont bien manifesté devant la centrale, place M'hamed-Ali à Tunis, en scandant «Jerad dégage». Ils en étaient venus aux mains avec quelques syndicalistes. Par ailleurs, les dirigeants syndicalistes fulminent contre M. Abderraouf Ayadi, SG adjoint du CPR, qui a déposé une plainte en justice contre Abdessalem Jerad l'accusant d'être impliqué dans des affaires de corruption. Dès lors, l'Ugtt a appelé il y a peu à des mouvements de protestation pour exprimer son opposition catégorique à la candidature de Moncef Marzouki au poste de président de la République. Des rassemblements de syndicalistes ont même eu lieu à cet effet, à la mi-novembre, à Sfax et dans d'autres villes du pays. Les propos de Tahar Hmila, président du groupe parlementaire du CPR et président de la séance inaugurale de l'Assemblée constituante, ont encore enflammé les esprits. Et ce n'est pas tout. Suite à la recrudescence des mouvements protestataires et des sit-in un peu partout dans le pays ces deux dernières semaines, d'aucuns y ont décelé l'ombre de l'Ugtt. Avant-hier, les propos de M. Abdessalem Jerad semblaient destinés à calmer les ardeurs des uns et des autres. Il a assuré «l'attachement de l'Union à coopérer avec le gouvernement issu de l'Assemblée constituante, élue par le peuple tunisien, s'agissant notamment de transcender tout obstacle susceptible d'entraver l'économie nationale». En même temps, le secrétaire général de l'Ugtt a pointé du doigt «le vide politique actuel, la nécessité de hâter la formation d'un gouvernement, l'écriture de la nouvelle Constitution et la fixation des compétences de l'Assemblée constituante et la durée de son mandat». De son côté, M. Hamadi Jebali s'est dit compréhensif vis-à-vis des sit-in et des manifestations qui sont organisés pour des revendications «sociales raisonnables». Cependant, il a appelé à prendre conscience des agendas politiques «mis en œuvre sous couvert de revendications à caractère social». Bref, on peut dire que l'Ugtt et Ennahdha ont levé un coin du voile qui assombrissait leurs rapports respectifs, par alliés d'Ennahdha interposés. Une occasion pour souligner aussi qu'en Tunisie, depuis 55 ans, toute confrontation ouverte ou larvée du parti au pouvoir avec la centrale syndicale tourne à la crise sociale et nationale aiguë. Bien que n'étant pas des enfants de chœur, les syndicalistes ont rarement perdu une bataille stratégique sous nos cieux. Sitôt qu'il est arrivé aux affaires, M. Béji Caïd Essebsi, en politicien averti, s'était empressé de rencontrer M. Abdessalem Jerad. Il a bien établi avec lui un accord de principe dont certaines clauses seraient encore secrètes. La politique, dit-on, est l'art du possible. Elle nécessite un perpétuel compromis. Prévenu et étonné par l'ampleur du mouvement social, Hamadi Jebali semble vouloir faire l'économie d'une crise somme toute malvenue. On attend un geste de Moncef Marzouki. En face, les syndicalistes se disent «à quelque chose malheur est bon». Déjà, en prévision du prochain congrès de l'Ugtt, fin décembre à Tabarka, on se serre les coudes. L'union sacrée ouvriériste est le mot d'ordre communément partagé. On sonne le rappel du cartel des gauches. Affaire à suivre.