La semaine dernière s'est tenu à Sousse le 2e colloque sur le dynamisme des phénomènes et des concepts religieux, réunissant de nombreux universitaires et chercheurs venus d'horizons différents. Les débats, très riches et constructifs, nous interpellent quand il s'agit de rétablir certaines vérités très utiles à rappeler pour rafraîchir la mémoire de ceux qui l'ont courte. C'est à ce titre que le professeur Pierre Guichard, spécialiste en histoire médiévale à l'Université de Lyon, a, dans une communication très révélatrice d'un état d'esprit prédominant en Occident, reproché aux musulmans de nourrir un comportement agressif et belliqueux à l'encontre de tous ceux qui ne partagent pas leur foi. La réalité est tout autre pourtant, car aussi loin qu'on remonte dans l'histoire et dans le temps, ce sont bien les chrétiens qui, sous prétexte de servir Dieu en libérant la Terre Sainte et Jérusalem de l'emprise des musulmans, ont entrepris à partir de 1195 et jusqu'à 1272 huit croisades et expéditions sanglantes. Comment est-on venu à cette idée: servir le Seigneur en prenant les armes et en répandant le sang? Ce concept religieux soumis à une dynamique en perpétuelle évolution dans le temps trouve toute la latitude ainsi que sa liberté et son pouvoir d'agir avec les évènements du 11 septembre, et ici les mots se chargent d'une forte symbolique. La notion du jihad Mais avant de parler de la notion du jihad que l'Occident nous sort à tout bout de champ dans un dessein bien précis qui doit être appréhendé dans le sens des fluctuations du concept de l'histoire. Parler également des croisades du passé, c'est évoquer en quels termes cette période lointaine et révolue de notre histoire peut-elle entrer en résonance avec notre époque au point de constituer un concept régulièrement évoqué dans l'actualité! A tort ou à raison, les expéditions chrétiennes qui se succédèrent apparaissent dans la mémoire collective comme la première confrontation majeure de l'Occident et des musulmans. Une terrible guerre à répétition qui eut des suites inattendues. Cette civilisation arabo-musulmane, qui surpassait l'Europe latine, tant sur le plan matériel qu'intellectuel, se laissera distancer par elle. Les sciences arabes illuminent l'Occident, la géographie avec une floraison des cartes du monde, les mathématiques et l'invention de l'algèbre et l'essor de la géométrie, l'optique et l'astronomie, la médecine et l'anatomie, la philosophie et la redécouverte d'Aristote, et l'Europe de s'émerveiller de la culture et du vaste savoir arabe. Leur assimilation et la redécouverte, à travers eux des auteurs de l'Antiquité, la conduiront à amorcer une profonde mutation culturelle. C'est ainsi que le centre du monde s'est déplacé résolument vers l'Ouest, ainsi que l'a souligné le Libanais Amin Maalouf, qui déplore que tout au long des Croisades, les Arabes aient refusé de s'ouvrir aux idées venues d'Occident. Etymologiquement, le jihad signifie «effort tendu vers un but déterminé» Le sens de ce mot n'est pas forcément lié à la guerre. Ainsi, le jihad majeur renvoie à un effort fait sur soi-même en vue d'être un meilleur musulman. Il prescrit de lutter contre ses mauvais penchants pour suivre le chemin de la perfection tant sur le plan moral que sur celui de la religion. Cet effort vise à favoriser la propagation de l'Islam à travers le monde. Par extension, le jihad mineur, la lutte contre l'ennemi externe, est la seule forme de guerre légale en islam qui repose sur les prescriptions du Coran. Le jihad n'a pas pour but de convertir mais bien de conquérir de nouveaux territoires sur lesquels la foi est appelée à s'imposer. C'est la raison pour laquelle juifs et chrétiens, les dhimmis (minoriés religieuses), ont pu vivre en paix au sein des sociétés musulmans, ce qui n'a pas été le cas pour les musulmans et les juifs en pays chrétiens. «Point de contrainte en matière de religion», dit ainsi une sourate (II, 256). A notre connaissance, il n'y a pas de passage équivalent dans la Bible. Le jihad musulman défensif fait face au concept de guerre sainte dans la chrétieneté devenu égal. Aujourd'hui, il est malheureux de constater que de l'Orient à l'Occident, la religion s'affirme comme l'élément essentiel de la justification de la guerre.