Par Soufiane BEN FARHAT Nous étions prévenus. Les partis politiques tunisiens devaient régler leurs comptes en interne. C'est inévitable. Et pour cause. Ils étaient plus de cent nouveaux partis à éclore sur la place politique revigorée par la Révolution. Plus de cent nouveaux partis en quelques mois. Un véritable phénomène. Les politologues nous ont dit qu'il en est ainsi au lendemain immédiat des révolutions. Témoins, les pays de l'Europe de l'Est, l'ex-Yougoslavie, la Grèce, l'Espagne, le Portugal...Et qu'après, cela se décante, cédant la place à des blocs de formations politiques autour des principaux clivages régissant le tissu politico-social. Soit. On en prend acte. Et l'on observe. Déjà, lors des élections pour l'Assemblée constituante, plus d'une trentaine des nouveaux partis n'étaient pas au rendez-vous. Une élection, cela exige des moyens et des bras. Or, il s'avère que bien des formations politiques sont purement fantaisistes, inconsistantes, flasques. On en a observé quelques exemples édifiants. Tel cet expert judiciaire considérant que les avocats s'arrogent, à l'en croire, trop de droits et privilèges au lendemain de la Révolution. Il décide de se battre. Et décrète la formation d'un parti politique. Dépourvu du b-a ba de la formation politique, de condition plutôt modeste, entouré de loups et d'opportunistes à l'affût, c'est à peine s'il ne liquide pas son étude. Trop de partis se sont constitués sur des coups de tête. Ils en sont réduits à cravacher à la dure pour vivoter ou à dépérir de mort lente et cruelle. A trop cultiver des espoirs déconsidérés, on subit des moissons d'amertume et de ressentiment. Jusque-là cela se comprend. Mais que les partis l'ayant emporté se mettent à se diviser, cela déconcerte. Ainsi en est-il du Congrès pour la République (CPR) ou d'Ettakatol. Deux formations alliées du mouvement Ennahdha dans la Troïka aux commandes du gouvernement et disposant de la majorité à l'Assemblée constituante. Au CPR, c'est la scission pure et simple. On s'y accuse de tous les maux. Et les noms d'oiseaux fusent à fleur de médias. On s'insulte, on s'invective, on réclame des légitimités exclusives. Un haut responsable du parti a traité avant-hier à la radio ses collègues de «zèbres», et d'individus «passés à la poubelle». Ahurissant. Les autres, en face, ne sont guère tendres. La bataille est âpre. Elle promet des rounds politiques et judiciaires autrement plus cruels. A Ettakatol, c'est le syndrome des scissions et des désistements. Des fédérations entières du parti démissionnent en bloc. On n'en est pas aux invectives et insultes publiques, mais c'est le dialogue de sourds. Ici et là, l'épreuve du pouvoir divise. Les frères deviennent frères-ennemis. Les intérêts étroits, les calculs sordides entament le socle commun. La rouille de la discorde détruit le ciment du compagnonnage. Hormis d'autres composantes de l'opposition historique, le parti Ennahdha affiche, quant à lui, une unité à toute épreuve. On le savait travaillé par des courants, des remises en cause, des soucis de dresser l'inventaire. Tout devait se dévoiler au grand jour et se traduire en significations politiques à l'occasion du congrès d'Ennahdha. Prévu en septembre, ce dernier a été décalé d'abord en décembre, puis de nouveau reporté sine die. Ceux qui s'y connaissent de près et les observateurs avertis le savent. Le mouvement Ennahdha enveloppe des tendances assez sérieuses mais point antagoniques. La discipline de parti l'emporte. Et puis Ennahdha est maintenant au pouvoir. Et il n'est guère dans son intention de s'abîmer en querelles internes et luttes intestines. Les philosophies de base des partis les incitent parfois aux remises en cause à l'interne. Chez les mouvances de gauche, la dialectique instruit que la contradiction est le fondement de tout. À tel point qu'elles croient même au concept hégélien de négation de la négation. Auprès des tendances au référentiel religieux, en revanche, la différence est souvent assimilée à la discorde. La fameuse fitna qui frise le péché capital. Bref, çà et là, la constellation des partis politiques de la place ne laisse guère indifférent. Etre dans l'opposition est une chose. Passer de l'autre côté du miroir en est une autre. Le pouvoir a des alchimies par moments perverses. Au lendemain du Grand soir, on danse parfois la valse des scissions. Certains partis et partisans le découvrent à leurs dépens. Et ce n'est qu'un début.