• La crise économique est là, les patrons toujours inquiets Ils étaient plus d'un millier de chefs d'entreprise et hommes d'affaires, hier, au siège de l'Utica, venus des différentes régions du pays pour renconter et surtout écouter le discours du président de la République. La période des perturbations sociales a trop duré, le ras-le-bol des patrons est perceptible et le rendez-vous avec les nouvelles autorités politiques très attendu. «Nous sommes venus chercher un message d'espoir, de soutien, de confiance», confiaient certains avant l'arrivée du président à l'heure, accompagné de la présidente de la centrale patronale, Mme Wided Bouchamaoui. Quelques applaudissements se font entendre avec un peu de retard. «Arrêtez d'applaudir», lance l'un des présents, ajoutant : «il n'aime pas les applaudissements». Le ton de l'ambiance est ainsi donné : silence, on écoute. D'abord, la patronne des patrons qui n'a pas mâché ses mots; son allocution d'ouverture a été franche, directe et sans détours, après avoir bien sûr félicité M. Marzouki pour son élection à la présidence de la République. «En tant qu'investisseurs, nous n'avons pas exagéré quand on a fait appel, maintes fois, à la reprise du travail ; les nombreuses grèves non autorisées, les revendications excessives, les vols, incendies et saccages des entreprises, des usines et les blocages des routes et des ports, ont porté atteinte à la visibilité du paysage économique, ce qui a provoqué le départ de plusieurs investisseurs étrangers». Elle rappellera également que, grâce notamment à l'abnégation des chefs d'entreprise et des hommes d'affaires et à leur patriotisme, le pays a pu traverser debout une période des plus difficiles de son histoire, sans pénuries graves de tout genre de produits. «Mais il est temps d'appliquer la loi, d'arrêter la destruction des entreprises et de stopper le commerce parallèle». Et d'ajouter : «les chefs d'entreprises ont beaucoup souffert, il est temps que les partenaires sociaux s'assoient à la table des négociations pour discuter de la trêve sociale, car il est encore possible d'éviter le pire». Pour la présidente de l'Utica, il n'y a plus d'autres choix que de retrousser les manches et de travailler nuit et jour, car «l'année 2012 s'annonce encore plus difficile et le pays ne supportera pas une autre année de crises». Vifs applaudissements. Les devoirs de l'Etat et des patrons Le moment tant attendu est arrivé. Le président Marzouki parle enfin d'économie à la communauté des patrons ; lui, le militant des droits de l'Homme, le fils du peuple, celui qui a connu la pauvreté et l'exclusion et qui ne porte toujours pas de cravate. Premier mot, premier geste: «je vais m'adresser à vous directement, spontanément, sans discours officiel, avec l'espoir de ne pas commettre de bourdes», déclare-t-il en écartant le document préparé par les services de la présidence de la République. Rires dans la salle. D'emblée, il admet que pour construire un nouvel Etat et une nouvelle société, il a fallu d'abord édifier une institution politique saine, légitime, laquelle va oeuvrer à la construction des autres institutions. Mais, admet-il encore, «la démocratie est menacée de mort, nous vivons aujourd'hui dans l'angoisse». L'angoisse d'une nouvelle révolution qui plongera le pays dans l'anarchie totale. Le risque est là : «le peuple ne se nourrit pas de démocratie et de liberté, il veut manger et vivre dignement d'abord ». M. Marzouki soutient alors que la machine économique doit reprendre au plus vite son activité, réitérant son récent appel à la trêve sociale et de lancer : «nous sommes face à une responsabilité historique». Et en faisant allusion aux sit-ineurs, dont il a rencontré un grand nombre, le président de la République fait montre d'indulgence et de compréhension, justifiant leurs mouvements de protestations par leur long passé de marginalisation, d'exclusion et de misère. L'Etat a commis des erreurs envers ces personnes qui ne sont «ni des fous, ni des destructeurs». Mais, ajoute-t-il, «autant je les comprends, autant j'admets que les sit-ins et les quelque personnes qui bloquent l'accès aux usines et aux entreprises sont en train de faire couler le bateau sur lequel nous sommes tous embarqués; il s'agit là d'un suicide collectif ». A ce moment là, le ton change et l'allusion aussi : «aucun pays n'accepterait de se faire suicider; alors, si aujourd'hui, nous utilisons le langage de la compréhension, demain, on dira «ôte-toi», déclare-t-il. Mais, affirmant refuser le recours à la manière forte, le président de la République appelle de nouveau les Tunisiens à accorder au nouveau gouvernement une trêve de six mois : «laissez-les travailler et dans six mois, nous nous rendrons des comptes», promet-il. En attendant, M. Moncef Marzouki a identifié quatre devoirs pour l'Etat et quatre autres pour les hommes d'affaires qui devraient permettre au pays d'éviter la débâcle. L'Etat devra rétablir la stabilité et la sécurité, instaurer une administration efficiente, garantir une justice indépendante et interdire la corruption, le chantage et les malversations. Et à ce sujet, il appellera les patrons à ne plus financer les partis politiques pour quelque raison que ce soit : «c'est de l'argent perdu pour vous, mieux vaut l'investir dans des projets économiques». Les quatre devoirs des patrons sont le respect des droits des travailleurs, celui de l'environnement, le paiement des impôts et l'engagement dans la guerre contre le chômage. Pour les patrons, ce ne sont pas les messages qu'ils attendaient.