C'est avec des perceptions mitigées que les chefs d'entreprises et hommes d'affaires tunisiens ont réceptionné le discours de Moncef Marzouki, Président de la République par intérim adressé de la haute tribune de l'Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat (Utica), hier dans la matinée. Ayant pris la parole après Wided Bouchamaoui, présidente de l'Utica, le Président par intérim a préféré faire une improvisation au lieu d'un « long discours préparé par le staff économique installé au Palais ». Un discours qui s'est, en gros, articulé autour de 8 points. 4 points sont ceux qui représentent l'engagement de l'Etat envers les chefs d'entreprises et les promoteurs, alors que les quatre autres points sont ceux souhaités par le Président pour être des engagements de la part de ces hommes d'affaires envers leurs employés en premier et envers la Tunisie en général. Mais ce qui semble visible, c'est que la goutte débordant le vase ne va pas tarder, et si la situation actuelle perdure, une unanimité semble se dégager quant « au recours à la suprématie de la loi ». Il était difficile d'imaginer qu'une telle occasion puisse passer sans qu'on y évoque la vague raisonnable, quelque part, des sit-in qui empêchent, à tort ou à raison, la bonne marche de la dynamique économique normale. Il s'agit, indique Wided Bouchamaoui « d'une conjoncture actuelle très dangereuse à cause des sit-in et l'entrave à l'activité des entreprises, des institutions publiques. La vague des grèves sauvages, les fermetures de routes principales ainsi que les demandes excessives ont poussé un important nombre d'entreprises à mettre la clé sous le paillasson et au départ d'un nombre d'investisseurs étrangers, à cause du manque de confiance et surtout à cause du manque de visibilité. Ceci sans parler des entreprises saccagées, brûlées et pillées, dont beaucoup d'entre elles peinent encore à remonter la pente. La peule a soulevé le slogan « Le Peuple Veut… ». Et je ne pense pas que notre peuple veut une destruction structurée de notre économie, à empêcher les entreprises et les institutions publiques de travailler, ou priver le Tunisien de son droit au travail ou de certains produits nécessaires ». Se basant sur le fait que la situation est beaucoup plus dangereuse et critique que beaucoup risquent de le penser, la présidente de l'Utica a rappelé « que ce n'est pas le premier cri de détresse que nous investisseurs lançons pour affirmer que notre économie est vraiment en danger ». Le secteur des industries des composantes automobiles devrait créer près de 20 mille postes d'emploi en 2011, mais le voilà en train de créer de nouveaux postes à combler, a-t-elle argumenté. Ce que veut Marzouki ! Conscient du fait que ses prérogatives restent limitées, le Président par intérim a indiqué devant le parterre de chefs d'entreprises que « lorsque Hamadi Jebali, Premier ministre viendra ici se prononcer, vous aurez une idée plus ample des programmes et des mécanismes que le gouvernement récemment mis en place compte mettre à la disposition afin de dynamiser la machine économique et la remettre sur les rails». Mais avant d'en arriver là, le nouveau locataire du palais de Carthage a indiqué que cette vague de contestations est en effet « un résultat logique de longues décennies de répression, de marginalisation et de fausses politiques dont nous payons aujourd'hui les tribus ». Evoquant les sit-inneurs à Gabès, à Sfax, à Gafsa et un peu partout à travers le pays, Moncef Marzouki a répliqué « qu'il ne faudrait pas qu'on les qualifie de fauteurs de troubles. J'appartiens à cette catégorie de citoyens modestes de Tunisie, il faudrait les comprendre. Mais ceci n'empêche pas de dire qu'ils sont actuellement en train de nous causer un désastre. Si on va continuer sur ce rythme, le bateau va couler et nous tous à bord. Il s'agit là d'un suicide collectif ». Sans les condamner ouvertement, le Président dit « m'adresser à eux en toute amitié et amour pour leur indiquer qu'en perpétuant cette situation, ils poignardent la Tunisie dans le dos. Je leur demande au nom de la patrie de mettre fin à ces sit-in », mais ce discours et cette attitude ne semblent pas à leur tour manquer d'alternative puisque Moncef Marzouki l'a fait clair «sinon, et si ces grèves ne s'arrêtent pas, il viendra le temps où ce langage tendre et de sympathie sera substitué par un autre, où l'on demandera à ces personnes de se mettre de côté ». « Dégage » a ainsi repris la salle, en guise de contestation. A part ce volet des sit-in, le discours du Président par intérim n'a pas manqué de contenir un autre volet pas moins intéressant, à savoir celui comprenant ce qu'on ose qualifier de pacte à honorer par l'Etat d'une part et des hommes d'affaires et des chefs d'entreprises d'une autre. Le long de « la trêve de six mois » qu'il a demandé qu'elle soit accordée pour que la machine reprenne à fonctionner, le Président par intérim s'est engagé à honorer quatre points. Il s'agit « en premier lieu d'une administration effective et efficiente qui vous évitera les tracasseries afin de trouver une autre cadence capable de briser la monotonie de la bureaucratie, ce que le gouvernement actuel veillera à assurer. Ensuite une justice indépendante, car pour un investisseur, local ou étranger, car il n'y a pas de progrès sans une justice indépendante ». Un point menant à un autre, « l'Etat s'engage, indique encore Moncef Marzouki, se déploiera pour contrecarrer toutes sortes de fraudes, de corruption, de népotisme et d'extorsion ». Dans ce même contexte, il n'a pas raté l'occasion d'épingler certains hommes d'affaires présents en leur indiquant « que vous avez eu tort en injectant d'importantes masses d'argent dans les campagnes électorales de certains partis. Le peuple tunisien n'est pas dupe, et vous avez dans la réussite des autres partis, tels que le nôtre la preuve que l'argent politique ne réussit pas à atteindre toujours ses objectifs». En contre- partie de ces engagements attendus de la part de l'Etat « les hommes d'affaires et les chefs d'entreprises doivent s'engager quant à eux à nous rassurer sur quatre points. Le tout premier c'est de respecter les droits des travailleurs, car exploiter les gens ne nous mènera qu'à une nouvelle révolution, et la cupidité ne peut qu'avoir des effets néfastes sur le long terme. Le deuxième point concerne l'environnement, car nous vivons, ici, sur une terre que nos enfants et arrière petits enfants prêtent. Le troisième point c'est votre engagement à payer vos impôts, et beaucoup d'entre vous esquivent pour échapper à ce devoir national. On paye ses impôts afin de consolider les recettes de l'Etat et non pas pour mettre l'entreprise à genoux. Enfin, on vous demande de vous engager dans cette guerre sacrée pour combattre le chômage. Nous sommes tous sur le même bateau, et si ce dernier coule, nous coulerons tous avec ». En attendant ! Pour beaucoup de chefs d'entreprises présents, le discours de Moncef Marzouki n'a pas vraiment été à la hauteur de leurs attentes parce qu'on s'attendait « plutôt à une explication et surtout à une feuille de route nous indiquant où va le pays », alors que pour d'autres « le discours a contenu pas mal de points intéressants. Et nous nous attendons à plus de clarté et avec surtout une vision de ce que deviendrait l'activité économique dans le pays dans les mois à venir ». On s'attendra, à vrai dire, à l'apparition de Hamadi Jbali sur le même podium, ou ailleurs peut être, pour savoir encore plus sur le programme économique que l'on compte adopter durant la vie du gouvernement récemment mis en place. Cependant, une impression ne cesse de se dégager, celle faisant foi d'une espérance d'une conjugaison de l'ensemble des efforts de toutes les parties afin de regagner un environnement sain susceptible de faire régner la confiance et surtout la stabilité. Un minimum de stabilité, car à entendre le Président par intérim, « il n'existe pas un 100% de stabilité, même pas dans les pays les plus démocratiques de la planète. 100% de stabilité, c'est synonyme de répression », a-t-il laissé entendre.