Dans ce recueil, qui compte trente-six nouvelles, Elhem Ben Milad nous propose des histoires courtes variant entre une et six pages. Est-ce à dire qu'elles sont faciles à lire ? Les récits disent un monde où l'imaginaire se déploie pour édifier un univers à la fois semblable au nôtre, mais qui ne lui ressemble en rien. Il y est question d'un homme qui meurt debout, transi de froid, d'une enfant que le ciel happe puis renvoie sous forme de cadavre, d'une tête qui se détache du corps pour jouir de sa liberté. Les nouvelles que contient ce recueil sont des histoires qui fascinent et dérangent. Elles fascinent, parce que sans le vouloir, on les retient et on s'approprie en quelque sorte les événements et les personnages qui investissent notre mémoire ; elles dérangent car elles sont le produit d'un regard scrutateur qui se pose sur le monde qui l'entoure. Ce regard semble méfiant, inquiet, étonné. De ces trois adjectifs, c'est le dernier qui sous-tend l'écriture et qui a peut-être sauvé l'auteur de la folie. Car la méfiance et l'inquiétude, poussées à leur comble, peuvent mener à la folie. Mais l'étonnement, au sens étymologique du terme, est générateur d'émotion esthétique et c'est de là que provient l'écriture. Aragon revendique cet état en disant : « M'habituer m'habituer Si je ne le puis qu'on m'en blâme Peut-on s'habituer aux flammes Elles vous ont avant tués Ah crevez-moi les yeux de l'âme S'ils s'habituaient aux nuées» Le regard étonné de l'auteur de Vieilles nouvelles, produit un univers fantastique où les personnages d'Elhem Ben Miled n'ont ni nom ni prénom, ils sont désignés à la troisième personne ou par des surnoms comme « la folle », titre de l'une des nouvelles. Le temps et l'espace ne sont pas référentiels. Les événements n'ont rien de réaliste. Ils relèvent de l'étrange qui investit le quotidien, c'est ainsi que T.Todorov définit le fantastique. Dans l'une des nouvelles intitulée «La balançoire», une petite monte si haut dans le ciel qu'elle y disparaît pour être retrouvée, quelque temps après, morte. Aucune réponse n'a pu, expliquer la mort de cette petite fille. Ainsi, la question centrale que semble poser ce recueil est : «Pourquoi sommes-nous là alors que nous n'y comprenons rien ?» La réponse se trouve-t-elle dans le ciel ? Celui-ci est-il habité? Si la nouvelle «La balançoire» introduit le doute, « L'oiselle » le dissout en partie. En effet, dans ce récit, précisément au début de cette courte histoire, un enfant regarde par la fenêtre les oiseaux voler, il voit une main «qui surgit du ciel» pour en attraper un et lui tordre le cou. L'enfant qui regarde éclate «de rire à la vue de ce manège, pour le moins insolite» rapporte le narrateur. La suite de la nouvelle semble nous dire qu'il y a un risque à vouloir imiter ce qui provient du ciel. Notre destin est-il tracé en fonction des projections qui ont lieu entre ciel et terre ? L'homme dans ces nouvelles est seul. Il se bat avec les autres, il se bat avec son propre corps. Le monde dans lequel progressent les personnages est beau, angoissant, étrange. La question que pose ce recueil est double : «Pourquoi n'arrivons-nous pas à habiter notre propre corps ? Pourquoi ne pouvons-nous pas nous saisir du monde qui semble si accessible ?» Pour nous communiquer ces idées, le narrateur nous raconte comment sa tête s'est détachée de son corps, laissant ce dernier dans le désarroi. Il nous raconte aussi l'histoire de cet enfant qui voulait attraper le lune du puits avec un nœud coulant, et de cet autre qui tentait de se saisir du soleil avec un lasso. C'est peut-être un façon de nous dire que nous sommes pris au milieu d'une sphère où le fait de garder la tête sur les épaules n'est pas de toute tranquillité et où la perdre ne serait pas de tout repos. Que faire ? Cette dichotomie tête/ corps serait-elle à l'origine de l'écriture de ces nouvelles ? Celles-ci pourraient-elles être lues comme des contes philosophiques ? (*)Vieilles nouvelles, de Elhem Ben Milad — Editions Arabesques. 168 pages. (12D)