Beaucoup de romanciers issus des pays pauvres ou en difficulté ayant décroché plusieurs prix prestigieux, l'un d'entre eux déclare qu'il ne restait à ces pays que la littérature. S'accrocher à l'écriture comme à un radeau quand on risque de se noyer par temps bouleux, telle semble être l'importance donnée à cet art par Ridha Ben Salah, auteur d'un ensemble de nouvelles réunies sous le titre "Les passagers" Un souffle militant forcené, une seule arme de résistance contre les historiens-sbires aux services des puissants, la dernière parcelle de sol que les pieds de géographes et archéologues envahisseurs n'ont pas encore foulé : tel est le mot écrit. Pas de salut ni d'utilité pour cet art s'il n'est au service d'une cause et s'il ne donne un sens à une autre vie possible par ces Temps-Chacals où la globalisation a dépouillé la terre de son passé et de son devenir, la réduisant à une vulgaire momie présentée pour la vente. "Il nous faut écrire car c'est là, la derrière forteresse dans un monde pris en assaut par les orages, de toutes parts". L'écriture comme devoir et toute cette belle et robuste polémique pour en arriver à l'art narratif de Ridha Ben Salah. "Dans Abderrahmène voyage secrètement", l'action commence au café de l'univers ou le narrateur discute littérature avec un ami assis, autour d'un verre. A la tombée de la nuit, il vient à passer devant la statue d'Ibn Khaldoun. Ambiance étrange et traversée obligée de la grande avenue vers le TGM. Description furtive des zombies qui pullulent à cette heure-là. Il sent que quelque-un le poursuit. Il s'arrête, reprend la marche. Non ce n'est pas l'effet de la mousseuse ! Quelques-uns est vraiment là et il lui parle. Qui ? Je vous le donne en mille ! ! ! Abderahmène Ibn Khaldoun himself ? Ils continuent leur balade en discutant comme deux bons vieux copains... " Je voudrais être cet homme qui passe, disait Reggiani dans l'une de ses chansons, passons donc à une autre nouvelle. " Quand le ciel œuvre ses portes " commence comme un spleen d'une lourdeur désespérante. Noir, c'est noir, mon pote ! " De ces jours où la mémoire s'éveille au sentiment que l'univers est un vieux haillon, un morceau de bois mitté et à la couleur éteinte ". Il nous faut reconnaître que le gugus a de quoi flipper à mort. Visiblement il est loin de rouler sur l'or et il est harcelé par une fiancée qui trouve, sûrement à juste titre, qu'elle a trop attendu, qu'aucune autre femme ne pourrait supporter tel sacrifice et qu'il leur faut, coûte que coûte, convoler en justes noces l'été prochain. Les mannes célestes vont-elles s'ouvrir pour eux ou bien notre héros continuera-t-il à traîner lourdement son spleen sur des épaules qui semblent prêtes à craquer ? La suite vous le dira ! Allez, hop, on continue notre joyeuse tournée, pour une troisième escale. Là encore le bonheur nous assaille dès l'apparition lumineuse du titre : " L'histoire de l'homme qui a fréquenté les morts ". Ne craignez rien ! L'histoire commence plutôt dans une ambiance assez sympathique malgré la persistance de la nausée que le narrateur ressent envers le monde et ceux qui le peuplent. Il y est question d'un oncle maternel assez loufoque qui n'a jamais rien fait de sa vie que jouer aux cartes des longues heures durant et quand le père du narrateur lui passe l'argent pour qu'il aille chercher à boire et qu'il lui prête son vélo pour ce faire, il disparaît pour ne réapparaître que trois jours plus tard en prétextant avoir été victime d'une agression. Bien sûr, que personne ne le croît. C'est ce personnage devenu mythique grâce à sa paresse et ses petits coups foireux que la grand-mère du narrateur l'envoie à sa recherche vu qu'il a délaissé femme et enfants pour disparaître dans la nature. C'est un petit recueil de nouvelles assez charmant malgré les barreaux dressés par l'auteur pour nous empêcher de circuler librement ou peut-être les a-t-il dressés pour lui-même. Après tout on peut survivre dans une prison fût-elle mentale.