Par Soufiane BEN FARHAT La vie politique tunisienne connaît une effervescence continuelle. Les regards des observateurs avertis sont rivés sur Tabarka et Tunis. A Tunis, la passation gouvernementale a eu lieu avant-hier sous des signes encourageants. La continuité de l'Etat tunisien s'y est manifestée. Sitôt les procédures protocolaires achevées, l'Assemblée constituante s'est remise au travail. Elle a commencé avec l'examen de son règlement intérieur, en attendant de voter la loi de finances. En même temps, des partis de l'opposition se sont réunis dès lundi à Gammarth, dans la banlieue de Tunis, pour présenter un projet de fusion en un seul grand parti centriste unifié. Un parti ou peut-être un front commun ayant le modernisme pour socle idéologique unificateur. Cette formation ratisserait de la gauche au centre-droit, du Pôle démocratique progressiste au mouvement Afek en passant par le Parti démocratique progressiste. Elle englobe également une constellation de petites formations du centre libéral et du centre-gauche. A Tabarka, une bonne partie des 518 congressistes de l'Ugtt s'active à concocter une liste commune pour l'élection du bureau exécutif de la centrale syndicale. Le mot d'ordre des syndicalistes semble bien être «l'union sacrée». Les travailleurs à col bleu et les cols blancs appréhendent l'avenir immédiat avec quelque angoisse à peine dissimulée. En effet, les premiers échanges entre la Troïka au pouvoir à l'issue des élections du 23 octobre 2011 (les partis Ennahdha, CPR et Ettakatol) et l'Ugtt s'apparentent bien à une passe d'armes. Elles préfigurent des escarmouches, voire des bras de fer. D'ailleurs, l'initiative du front uni des forces centristes se recoupe avec le renouveau syndicaliste escompté à Tabarka. Ici et là, ce sont presque les mêmes mouvances politiques et idéologiques qui s'expriment. A terme, cela promet, en cas d'aboutissement, de corser davantage l'opposition jusque-là effritée et avançant en rangs dispersés. Le dispositif politique devant régenter la place dans les mois à venir se met en place. Normal, dira-t-on. Jusqu'ici, les différentes sensibilités ont tenu à se présenter seules afin de jauger de leur poids réel. Et encore. Certaines d'entre elles ont été même dopées par d'autres mouvances. Et les lendemains des élections ont imposé les remises en cause. Le positionnement fantaisiste ou mû par la pure illusion n'a guère de mise. Les uns et les autres se sont mis à faire leur inventaire. Parfois dans la crispation et la douleur. Même les partis vainqueurs des élections n'y ont pas dérogé, étrangement. Là, c'est plutôt l'épreuve du pouvoir et du partage des dignités et des privilèges qui partage. Le CPR et Ettakatol connaissent les affres des scissions. Certains observateurs se demandent si ces deux formations sortiront indemnes de cette mêlée. En fait, ce n'est guère pour faire le bonheur d'Ennahdha. La scission ou le dépérissement de partis faisant partie de la coalition au pouvoir influent nécessairement sur le pouvoir. Cela procède de la sociologie politique. Et la sociologie politique précisément met au jour les tares de la place politique nationale. Même si, lors des élections, le peuple semble avoir sanctionné les indépendants et opté pour les partis, ces derniers n'en finissent pas de traîner des casseroles. Les structures des partis dans le sens classique du terme font le plus souvent défaut sous nos cieux. Il s'agit davantage de coteries réunies autour d'une personne plutôt que d'un programme. Il en résulte une centralisation doublée d'une personnalisation extrême des charpentes organisationnelles. Suffit-il que le chef disparaisse, d'une manière ou d'une autre, et le tout part en éclats. Ou presque. On l'a constaté avec la démission de M. Moncef Marzouki de la direction du CPR, eu égard à son nouveau statut de chef de l'Etat, c'est-à-dire de président de tous les Tunisiens. Quelques heures après son retrait, le CPR menaçait déjà de chavirer, ou de sombrer. Les malheurs des uns font-ils le bonheur des autres ? En tout état de cause, l'opposition semble décidée à engranger le moindre faux pas, la moindre fausse note de la Troïka gouvernementale. Le spectacle promet d'être encore plus passionnant à brève échéance.