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Quelle démocratie pour les nouvelles majorités islamistes ?
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 04 - 01 - 2012


Par Pr Hatem M'rad (*)
Il y a mille raisons de penser que la démocratie est encore problématique dans le monde arabo-musulman. On pensait que le coup de grâce politique de la suppression du califat en 1924 et le coup de massue intellectuel donné à la confusion du spirituel et le temporel par Ali Abderraziq en 1925 dans son livre majeur L'Islam et les fondements du pouvoir constituaient un tournant dans la politique arabe et islamique sur le plan des valeurs. Mais cela n'a visiblement pas suffi. Il faudrait peut-être aujourd'hui inventer un autre Ali Abderraziq et un autre traitement de choc d'ordre séculier. On aurait pu miser sur les révolutions. Mais les révolutions arabes ont été apolitiques et non théorisées. Ces révolutions démocratiques, malgré leur résonance, ne peuvent encore effacer d'un trait de plume le poids de l'histoire, de la culture et des croyances encore pesantes dans beaucoup de contrées arabes.
La démocratie ne pose certes pas problème sur le plan du droit formel universel en vigueur. Mais elle pose problème en politique, dans la vie économique, sociale et culturelle, et surtout dans la religion islamique. Elle est voulue, recherchée, pensée, partiellement intégrée par certaines élites et certains Etats. Mais elle est aussi vilipendée par les traditionalistes de l'Islam, les salafistes, pour lesquels elle est un sacrilège, kûfr, car la souveraineté de Dieu ne doit pas être entravée par une souveraineté concurrente, fût-elle celle du peuple, fût-elle universelle. La majesté du droit universel, la majesté de l'égalité entre les êtres humains, base de la pensée démocratique, est kûfr si elle vise à mettre sur un plan d'égalité deux êtres déclarés d'inégale dignité par la chariâa et les fuqaha conservateurs : l'homme et la femme. Celle-ci est moins sujet de droit qu'objet de honte qu'on doit dissimuler de la tête aux pieds. La révolution d'al-karâma est pure hypocrisie pour la gent féminine.
La démocratie est surtout peu vécue par les sociétés arabes, à l'intérieur desquelles l'individu n'a encore fait complètement ni sa révolution égalitaire, ni sa révolution individuelle, même si, dans certains pays, il a fait, ou est en train de faire sa révolution démocratique et politique.
Dans le monde arabe, malgré l'introduction de quelques pratiques démocratiques bien localisées après les révoltes récentes, malgré l'évolution des mœurs dans certains pays, la scolarisation, la modernisation sociale, la démocratie relève encore, dans la plupart des cas, de l'ordre du discours, celui de la classe politique, celui des élites et d'une partie des classes moyennes. Elle n'a pas en tout cas réussi à surmonter franchement les pesanteurs religieuses et sociales et à résoudre les contradictions du monde arabe. On est impatient de voir comment la Tunisie, l'Egypte, la Libye, le Yémen ainsi que les autres peuples arabes en rébellion contre leurs régimes arriveront-ils à surmonter ces pesanteurs et ces contradictions à la suite de leurs révolutions pour bâtir une nouvelle société.
A l'intérieur même des sociétés arabes, est-on sûr que la démocratie est comprise de la même manière par tous? Il semble y avoir des démocraties et non pas une démocratie.
Pour les pauvres ou les chômeurs, sans conviction politique réelle ou peu politisés, qui ont récemment voté dans les différentes élections démocratiques, constituantes ou législatives, en Tunisie, Egypte, Maroc, en faveur des islamistes, des partis de gauche ou des listes populistes d'Al Aridha (Tunisie), la démocratie, c'est d'abord khobz ou mâ, c'est-à-dire un travail et de la dignité ; pour les élites ou une partie des classes moyennes, elle reste un processus de contrôle de pouvoir par le droit ; pour les électeurs islamistes purs et durs, la démocratie est la voie du salut. Le suffrage s'apparente ici moins à l'exercice d'un droit qu'à une sorte de ticket pour le paradis. Si, pour le laïc, la démocratie est au fond une valeur, même si elle est en apparence une technique de pouvoir, pour l'islamiste ou le traditionnaliste, elle est un outil à exploiter ou à manipuler pour atteindre la voie de Dieu.
La démocratie des gouvernants islamistes victorieux aujourd'hui aux élections est une démocratie de calcul, mi-séculière, mi-religieuse, selon l'intérêt du moment, une démocratie dans laquelle le parlementarisme et le califat peuvent faire bon ménage, mais qui a toujours du mal à se départir d'une culture autoritaire. Dans ce cas, on n'arrivera pas, par exemple, à savoir où se situe la distinction entre la loi issue de la majorité islamiste au Parlement et la fatwa supposée conforme à la volonté de Dieu ou à la chariâa. La démocratie des élites laïques et de certaines parties de la classe moyenne est, elle, celle des individus instruits par la philosophie des lumières, tant occidentale qu'arabo-musulmane, et tentés d'établir une corrélation entre le choix des gouvernants, la liberté et la garantie contre l'arbitraire. Quant aux masses arabes, pauvres, peu éduquées, partiellement analphabètes, instinctivement intolérantes, elles restent en général, on le comprend, peu imprégnées par les valeurs de la démocratie libérale proprement dite. Autant les masses arabes, attentives au discours de la Tradition, étrangères aux exigences de la raison et de la conscience modernes, inclinent au communautarisme et aux valeurs de groupe, leur dernier refuge, autant les élites, les classes moyennes et les jeunes diplômés, plus ouverts au monde extérieur, à la science, à l'Occident, à la modernité, optent volontairement pour un statut qui tend à mettre en valeur leur autonomie, et dans la mesure du possible, leur liberté.
Les Etats arabes balancent, en effet, jusqu'à nos jours entre deux modèles différents : l'expérience islamique des Etats qui relève de l'histoire arabo-musulmane et l'Etat rationnel occidental qui relève de l'histoire moderne. On le voit tous les jours dans la pratique des nouveaux pouvoirs islamistes issus aujourd'hui des urnes, à travers les innombrables déclarations de leurs représentants qui nous balancent sans scrupules comme un jouet entre le séculier et le sacré.
Ces révolutions soudaines en Tunisie, en Egypte, en Libye, qui seront bientôt probablement suivies par d'autres, ne veulent pas dire pour autant que ces pays ont acquis instantanément, comme par enchantement, une culture démocratique complète. La tradition démocratique est plutôt partielle et incomplète dans le monde arabe, même dans les pays réceptifs à la modernité. Elle rencontre encore de la résistance au niveau des valeurs religieuses.
Or on sait qu'il est très difficile d'enraciner la démocratie et la liberté dans une société qui ne connaît pas dans son héritage culturel des valeurs lui permettant d'asseoir ces pratiques et attitudes. C'est la raison pour laquelle les jeunes Tunisiens se sont rabattus sur les seules valeurs démocratiques et libérales qu'ils connaissent ou qui sont à leur disposition, celles de la modernité, de l'égalité juridique, de la rationalité, de la technologie. Des valeurs universelles. Valeurs universelles dans la mesure où les violations de la dignité humaine et des droits humains (censure, privation de liberté, torture, emprisonnement arbitraire, viol ) sont ressenties physiquement et moralement de la même manière par les individus et les peuples, quels qu'ils soient, dans leur existence réelle face à la tyrannie. Et non valeurs universelles en tant que valeurs occidentales, comme le pensent nos islamistes, sensibles surtout aux valeurs des sociétés moyenâgeuses et tyranniques des pays du Golfe. Arrivera-t-on un jour à parler le même langage avec les islamistes ?
(*)Professeur de sciences politiques


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