Par Hmida BEN ROMDHANE LE ballet diplomatique que connaît actuellement Tunis est un signal fort traduisant l'intérêt que témoignent les grandes puissances pour l'expérience tunisienne. L'arrivée quasi simultanée des ministres des A.E. français et italien et, demain, du chef de la diplomatie allemande est significatif à cet égard. Pour la Tunisie, il y a là une chance à saisir. Que les trois plus grandes puissances européennes envoient les chefs de leur diplomatie s'enquérir des moyens d'aider économiquement et politiquement la Tunisie, il faut lire cela comme une manifestation de solidarité et un gage de confiance envers la première démocratie, encore balbutiante, du monde arabe. Mais il n'y a pas que l'Europe qui s'intéresse à nous. Il y a aussi les Etats-Unis d'Amérique qui, depuis la chute de la dictature, ont envoyé à Tunis de nombreux hauts responsables politiques et économiques, et ont fait part à diverses occasions de leur disposition à aider la Tunisie et à développer les liens économiques qui n'ont jamais été le trait le plus fort qui caractérise l'histoire des relations tuniso-américaines. Européens et Américains sont donc prêts à nous aider, mais sommes-nous prêts à nous aider nous-mêmes ? Les signes sont jusqu'à présent très peu encourageants. Nous avons besoin d'aide extérieure, c'est une évidence. Les ressources propres du pays ne permettront jamais de faire les investissements nécessaires pour employer les 800.000 chômeurs. Les investissements étrangers seront donc indispensables si l'on veut que ce pays entame sa bataille contre le chômage, la pauvreté et le déséquilibre régional. Avant d'aborder les attitudes et les comportements, commençons par dire deux mots sur le langage qui doit impérativement changer. Le langage des gauchistes, mais aussi celui des islamistes. Les gauchistes maintiennent un discours sans rapport avec la réalité, un discours qui sonne comme une nostalgie pour les années 1970 quand ils dominaient le débat politique à l'université. Quarante ans après, rien n'a changé et ils continuent de pointer du doigt ceux qui «veulent vendre le pays aux puissances impérialistes», mais ils se gardent de dire qu'est-ce qu'il y a à vendre dans ce pays. Quelles richesses avons-nous sous terre ou offshore que nos politiciens s'apprêteraient à brader aux «impérialistes» ? Il faut cesser avec ce langage dépassé, éculé, rouillé et usé jusqu'à la corde. La richesse principale du pays est la force de travail, et une bonne partie de cette force ne trouve pas d'«acheteur», d'où les 800.000 chômeurs et d'où les efforts endiablés que déploie le pays pour convaincre les investisseurs étrangers établis de ne pas mettre la clef sous la porte et ceux qui ne le sont pas encore de venir s'établir. Le discours islamiste n'est pas plus proche de la réalité que celui des gauchistes. En montrant peu d'enthousiasme envers nos partenaires économiques traditionnels, en mettant l'accent sur l'«islamisation» de la finance, en soulignant la trouvaille du tourisme «halal», en se montrant confiants en «l'aide de nos frères arabes», les islamistes donnent l'impression qu'ils ignorent la réalité économique tunisienne liée organiquement à l'Europe, qu'il s'agisse de l'écoulement des produits tunisiens, agricoles et industriels, sur les marchés européens ou de l'ampleur des investissements français, allemands, italiens ou encore britanniques en Tunisie. Au-delà des discours des uns et des autres, le problème le plus urgent à résoudre aujourd'hui demeure les attitudes et comportements destructeurs et même criminels consistant à s'opposer au droit du travail, à étouffer les entreprises par des sit-in et à bloquer les routes et les voies ferrées. La patience du gouvernement a trop duré, les pertes des groupes chimiques et de la Compagnie des phosphates se comptent par centaines de milliards et les ministres envoyés sur place n'ont trouvé en face d'eux que des groupes arrogants, bouchés, très peu disposés au dialogue. Le ministre de l'Intérieur a affirmé que la solution sécuritaire interviendra quand nous aurons épuisé tous les moyens de dialogue. A-t-on encore un quelconque espoir d'arriver à des solutions à travers le dialogue avec des gens déterminés, consciemment ou inconsciemment, à détruire l'économie du pays ? On peut recevoir à bras ouverts et avec de larges sourires tous les ministres des A.E. du monde, mais cela ne servira à rien tant qu'on n'a pas imposé chez nous le calme et la stabilité exigés par tout investisseur, national ou étranger. Les ministres qui nous rendent visite peuvent être animés de la meilleure volonté du monde de nous aider à construire une économie prospère, ils ne pourront pas convaincre leurs concitoyens (investisseurs et touristes) à venir s'installer ou bronzer chez nous tant que les autorités en place ne parviennent pas à maîtriser la dérive sécuritaire qui mine le pays. Nous avons perdu trop de temps dans la course au pouvoir et dans la bataille du partage des ministères. Maintenant que les plus rapides dans cette course et les mieux armés dans cette bataille sont installés au centre du pouvoir, ils veulent apparemment prendre tout leur temps avant d'agir. C'est vrai qu'il est plus facile d'accueillir des ministres que de remettre par exemple en service la Compagnie des phosphates de Gafsa qui subit une perte de plus d'un milliard par jour. Mais accueillir les ministres des plus grandes puissances européennes ne servira à rien si on n'assure pas les conditions de sécurité et de stabilité indispensables à toute coopération fructueuse avec la France, l'Italie, l'Allemagne et les autres.