Par Soufiane Ben Farhat Inadmissible. Révoltant et inadmissible. Les fusillades survenues avant-hier en milieu d'après-midi jusqu'à hier à l'aube à Bir Ali Ben Khlifa interpellent. Un groupe armé surpris en flagrant délit de contrebande d'armes. Ils refusent d'obtempérer aux forces de l'ordre. Préfèrent mettre la baïonnette à l'ordre du jour. La confrontation armée est inévitable. Deux des terroristes auraient été tués. Le troisième est aux arrêts. On dénombre des blessés parmi les unités mixtes de la police et de l'armée. Dans la voiture du groupe armé à la plaque d'immatriculation falsifiée, beaucoup de noms. L'enquête suit son cours. On se frotte les yeux d'incrédulité. On est en Tunisie. Point en Afghanistan ou au Pakistan. Les choses prennent des tournures tragiques. Eminemment dangereuses. Il faut sévir. L'autorité de l'Etat doit être rétablie. Partout. Sans concession aucune. Les interrogations fusent. Ce groupe a-t-il des ramifications ailleurs ? Sont-ils infiltrés ? Ont-ils échappé aux mailles du filet des fins limiers de la police et des services de contre-terrorisme ? Et pourquoi le Président de la République, M. Moncef Marzouki a-t-il annulé sa visite à Makthar et Silana, prévue hier ? Est-ce vraiment «pour suivre le dénouement de la fusillade des agents de la sécurité avec trois éléments armés dans la région de Sfax» comme l'ont signifié ses services ? Pourquoi dès lors le chef du gouvernement M. Hamadi Jebali, véritable chef de l'exécutif, a-t-il maintenu sa visite, hier à Bruxelles, à la tête d'une forte délégation ministérielle ? Le groupe appréhendé dans les environs de Sfax, au sud, aurait-il des ramifications au nord ou au nord-ouest du pays ? On nous dit déjà qu'il s'agirait de membres du groupe de Soliman. Ledit groupe n'est-il pas dissous ? Où se positionne-t-il ? A-t-il une adresse, une boîte postale, une attache à perpétuelle demeure ? Plusieurs questions sont posées. Mais les réponses ne sont guère au rendez-vous. On soupçonnait bien, depuis quelques semaines, une électrification des rapports du parti Ennahdha (chef de file de la Troïka gouvernante) avec certaines mouvances dites salafistes. En aparté, certains responsables se laissent aller à des confidences à peine voilées. On murmure le ressentiment. On n'écarte pas le bras de fer. On signifie craindre le pire. L'atmosphère était lourde, piégée. Les observateurs avertis escomptaient le coup de grisou. Celui de Bir Ali était-il le bon ? Ou bien survient-il brutalement et sans crier gare ? Et puis il est peut-être temps pour qu'Ennahdha signifie clairement son positionnement vis-à-vis des mouvances qui sont à sa droite. Définitivement et sans ambiguïté. Le laxisme et l'à-peu-près entretiennent les fissures démentielles. Beaucoup de Tunisiens ont peur. Ils réclament l'union sacrée de toutes les énergies vives du pays. Point de perpétuation vicieuse du dialogue de sourds ou des corporatismes pervers. La patrie est notre toit commun. Ses commandements sacrés ne sauraient souffrir les tiraillements prosaïques et fangeux fondés sur l'esprit de clocher, l'isolationnisme ou l'esbroufe grimée en discours politique. La scène nationale est exsangue. Ereintée par les vicissitudes, les contrecoups et les rebonds d'un processus révolutionnaire en spirale, implacable, sans répit. Il faut que l'écrin soit à la mesure de la perle. Les hommes politiques doivent donner l'exemple de la cohésion nationale, par-delà les clivages de chapelles. Le commando de Bir Ali Ben Khlifa est un coup de semonce, une espèce de tir de sommation. Il sonne le rappel du pire qui se profile en cas de poursuite de la gabegie. Les sombres desseins n'aboutissent qu'à la faveur de l'aveuglement général. Et les forteresses inexpugnables sont généralement prises de l'intérieur, à la faveur des dissensions et divisions internes. Piqué dans les mémoires de Winston Churchill : Pierre Laval demande à Joseph Staline : «Ne pourriez-vous faire quelque chose, en Russie, en faveur de la religion et des catholiques ? Cela m'aiderait tellement auprès du pape»! «Oh ! oh ! fit Staline, le pape ! De combien de divisions dispose-t-il, lui ?» Ainsi va le monde en politique. C'est dans la solidité du front intérieur que réside la force des pays. Autrement, bonjour les implosions. Staline nous a prévenus !