Ils s'appellent Rihab Nagmar, Abdessalem Charfi et Mourad Habli et ils exposent depuis le 7 février 2012, à l'espace Aire Libre d'El Teatro, leurs travaux de fin de résidence au Centre des arts vivants de Radès. Durant un séjour de 11 mois, les artistes ont eu l'occasion de suivre des ateliers et d'être accompagnés — dans le cadre d'un coaching individuel — pour le développement de leurs projets. Abdessalem Charfi a choisi la céramique comme projet. Durant la résidence, il a réussi à la manipuler, la dompter et la soumettre au gré de ses desseins artistiques et de ses humeurs quotidiennes. Et c'est un devenir quasi décoratif que ce dernier a réservé à cette matière. Ici et là apparaissent des inscriptions en langue arabe et des incrustations de différents matériaux (dorures et autres) sous un traitement aux influences un peu asiatiques. Reste que tout cela, à quelques travaux près, demeure statique sans «révolution» dans l'approche surtout, avec beaucoup trop de saturation, quelquefois injustifiée. Et même si la forme rigide et carrée donnée à la céramique nous a fait oublier les rondeurs toujours collées à cette matière, l'esprit décoratif, dans certaines œuvres, demeure présent et un peu gênant. Mourad Habli, quant à lui, a choisi l'acier comme matière. Il nous présente une série d'installations où le métal est mis en forme (martelé-rouillé, repoussé-peint) et en scène. Dans «Néo-négrier», le «dompteur» rouille l'acier pour figurer les faces des dictateurs des pays d'Afrique, entourant le continent de pétales noires... La symbolique est quasi collégiale. Trop au premier degré (le noir, la rouille...). L' installation est un hommage à «Yaqine», le bébé martyr asphyxié par le gaz lacrymogène. Dans cette installation épitaphe, Habli place, autour du portrait de Yaqine, des figures d'autres martyrs, une manière comme tant d'autres de les garder en mémoire. «Les variations pictorialo-culinaires appétissantes», appelées ainsi par Mahmoud Chalbi, l'organisateur de cette exposition, et qui appartiennent à Rihab Nagmar, nous renvoient illico aux tableaux pièges de Daniel Spoerri (nouveau réalisme) qui, dans une réhabilitation esthétisante de l'objet de consommation, s'est intéressé, dans son Eat art, aux restes de tables (fins de repas). L'objet banal du quotidien, ainsi fixé, est élevé au rang d'objet d'art. Axé, donc, sur la nourriture, le Eat art est un courant artistique apparu dans les années 60 sous l'impulsion de Spoerri. L'aliment devient objet et prétexte de création artistique. Le repas et la nourriture sont mis à l'honneur «avec l'intention de désacraliser le processus artistique qui rend l'objet immuable. La nourriture étant périssable, le Eat art n'a pas pour vocation la production d'objets mais existe principalement à travers une réédition de sa réalisation», lit-on sur Wikipedia. En 1963, Spoerri va encore plus loin, en développant ce concept avec l'organisation d' un restaurant éphémère qui permet aux spectateurs de créer des tableaux-pièges, avec brevet de l'artiste à la fin du repas. Les quatre tableaux de Rihab Nagmar semblent être des clins d'œil à l'œuvre de Spoerri. L'artiste nous présente sa propre version du Eat art avec ses «Acryliques aux petits pois», sa «Mloukhia» et autres «Nuanciers culinaires» et «Nourritures visuelles». Traités en techniques mixtes, ses tableaux dressent des mets abstraits. Les aliments inondent la toile, se déployant en autant de formes, de couleurs et de touches. Reste que malheureusement et encore une fois, la subtilité du traitement demeure absente, car, oui, elle est de mise même dans les accumulations et les effets de saturation. Mi-fade, mi-relevé, le goût de l'exposition n'a pas su satisfaire notre palais. En somme, beaucoup de bonne volonté artistique mais rien de vraiment consistant, de quoi réchauffer nos âmes et faire qu'on puisse résister à cette vague de froid qui n'épargne pas la création… L'exposition vaut quand même le détour, rien que pour les efforts techniques. Elle se poursuit au Teatro jusqu'au 20 février 2012.