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La famille tunisienne et les droits de l'Homme (IIe partie)
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 29 - 02 - 2012


Par Mounira CHELLI
De 1956 jusqu'aux années quatre vingt-dix, il y avait eu une intense activité d'information et de sensibilisation sur le Code du statut personnel particulièrement auprès des femmes. Mais on ignorait tout des pratiques et des comportements à l'intérieur de la famille, ceci parce qu'il n'y avait eu à peu près aucune enquête de terrain sur la famille. C'est quand les Nations unies avaient déclaré 1994 Année mondiale de la famille que de telles enquêtes avaient commencé à être menées. Lilia Ben Salem a fait dans son livre Famille et changements sociaux en Tunisie une excellente revue de ces publications ainsi d'ailleurs que des thèses et mémoires de maîtrise qui ont été réalisés à la faculté des Sciences humaines de Tunis. C'est dans son livre, publié en 2009, que nous avons puisé les données qui sont à la base des analyses suivantes.
Comment se constitue la famille ?
Le choix du conjoint. Jusque dans les années 50-60, c'étaient les familles qui étaient dans tous les milieux les principaux artisans du mariage de leurs enfants. L'endogamie (le mariage entre cousins) était hautement valorisée. Dès le début des années soixante le changement s'était accéléré. Le Code du statut personnel, l'influence de l'action d'information et de sensibilisation de la radio, la scolarisation des filles, l'emploi des femmes ainsi que l'abandon du voile avaient provoqué de profonds bouleversements sociaux. Le nombre des mariages arrangés recule; hommes et femmes tendent de plus en plus à envisager le mariage en termes d'amour et de création d'une famille conjugale. En 1990, une enquête auprès d'un échantillon de femmes diplômées des universités montre que 67,5% de ces femmes mariées à la fin des années cinquante ont basé leur mariage sur l'amour. A la fin des années quatre vingt dix, une enquête en milieu rural sur trois générations de familles montre que : dans la première génération, hommes et femmes, mariés en 1940-45, l'ont été sans avoir intervenu eux-mêmes dans le choix de leur conjoint. Dans les années 60-70, les jeunes ont également été mariés par leurs parents. Par contre, 80% des jeunes de la dernière génération mariés entre 1992 et 1995, déclarent avoir choisi eux-mêmes leur conjoint. L'endogamie est de moins en moins valorisée mais n'a pas disparu, surtout dans le milieu rural. Entre 1971 et 2001 le nombre des mariages conclus dans la lignée du père a été réduit de moitié. Par contre, l'homogamie (le mariage entre des gens qui se ressemblent sur un certain nombre de caractéristiques) a largement progressé.
L'écart d'age entre les époux a diminué. En 1956, il était de 6,8 ans ; en 1966, il est passé à 6ans et en 1994 à 3,7 ans. Selon l'enquête Fampam (fin des années 90) 58% des hommes ayant fait des études supérieures ont épousé des femmes du même niveau. Seuls 8% des hommes de la génération qui a précédé ont fait le même type de mariage. La même enquête nous permet de constater une nette tendance à l'homogamie professionnelle dans les couples où les femmes exercent une activité rémunérée. C'est particulièrement remarquable dans les milieux ruraux, dans les milieux ouvriers et chez les cadres.
L'entrée en couple
En ce qui concerne l'âge moyen au premier mariage, en 1956, 42% des femmes entre 15 à 19 ans étaient déjà mariées. Selon le recensement de 1994, cela n'était plus le cas que de 3% des femmes. A la fin des années quatre vingt-dix, selon l'enquête Fampam, l'âge moyen au premier mariage pour les hommes était de 32,9 ans pour les hommes et de 29,2 ans pour les femmes.
En ce qui concerne la différence d'âge, elle était passée entre 1966 et 1994 de 6 ans à 2,8 ans en milieu rural et de 6,2 ans à 4,1 ans en milieu urbain.
Vie professionnelle et temps domestique
Il n'y a pas d'enquête qui aurait abordé le processus d'organisation des relations au sein du couple. Cependant, un certain nombre de données permettent de formuler des hypothèses quant aux grandes tendances.
L'enquête sur le budget temps des familles réalisée par le ministère des Affaires de la femme et de la famille donne des informations importantes. Il y a trois types de données : le budget temps, la place de l'espace public dans la vie des uns et des autres et les loisirs. Comme on va le voir, la dichotomie sexuelle continue à exister.
Temps moyen par jour. Le temps professionnel des hommes est de 6h13 par jour, celui des femmes est de 4h38 (les femmes représentent 26,4% de la population active). Le travail domestique est l'apanage des femmes : 4h24 par jour contre 0h38 pour les hommes. Si l'on considère le travail ménager, il s'avère que les femmes assument 77% de sa charge globale contre 13% pour les hommes. Pour l'espace public, les femmes passent 85% de leur temps dans l'espace familial et les hommes 64%. Si l'on considère les loisirs, on s'aperçoit que les femmes disposent de 2h25 de temps de détente et les hommes 3h30. La télévision est le seul loisir pour les femmes mais les hommes passent 40% de leur temps de loisir dans les lieux publics.
Répartition des tâches au sein de la famille. Il y a trois types de situation : les hommes et les femmes ont conjointement une fonction productive au sein de l'espace familial; l'homme exerce une profession et la femme s'occupe exclusivement de la maison ; les deux conjoints exercent séparément des professions en dehors de la famille. Comment se répartissent les tâches dans les trois cas ? Dans le milieu rural les hommes et les femmes participent ensemble aux travaux agricoles. Ceux-ci prennent 52% du temps d'activité des femmes et 40% de celui des hommes (ils consacrent 30% de leur temps d'activités rémunérées dans le secteur non agricole). Le travail ménager échoit exclusivement aux femmes : 5,3h par jour. Les enfants très jeunes participent aux travaux agricoles, 1,8h par jour. Il y a eu des changements au cours des dernières décennies, garçons et filles ont été scolarisés et les hommes ont commencé à émigrer ; femmes et jeunes filles ont pris le relais s'occupant de l'exploitation et des relations avec les autorités locales. Elles se sont retrouvées plus libres et exerçant plus de pouvoir, cela au prix d'une surcharge de travail.
Voyons maintenant ce qu'il en est des ménages à double carrière. On l'a dit, aujourd'hui, entre 20 et 39 ans, une femme sur trois est active contre une sur vingt en 1966. Dans ces ménages on trouve une très faible participation des hommes aux travaux ménagers bien que la tendance apparaisse. Ce sont les enseignants qui consacrent le plus de temps aux travaux domestiques : 1h10 par jour dont 20 minutes consacrées au suivi scolaire des enfants.
La socialisation des enfants
La socialisation est définie comme un processus à la faveur duquel l'individu acquiert les éléments de sa culture, ce qui le prépare à communiquer avec les autres dans toutes sortes de situations. L'essentiel de la socialisation est celle qu'on nomme «primaire» qui a lieu dans la famille. Cependant dans les sociétés modernes, la socialisation dure toute la vie. Il existe deux modes de transmissions des valeurs, des attitudes et des savoirs. La première est implicite, elle est diffuse et met l'accent sur l'imitation et l'apprentissage des normes dont les référents sont religieux et repose sur un imaginaire familial. L'objectif de cette éducation était, jusqu'à un passé récent, d'assurer que la nouvelle génération soit en mesure de consolider l'honneur familial. La seconde est explicite ; elle est intentionnelle, les parents sont attentifs aux potentialités de l'enfant et à son devenir qui peut être différent de celui des parents. Les familles du passé prodiguaient à l'enfant la socialisation implicite, celle d'aujourd'hui tend de plus en plus à donner la socialisation explicite. La famille n'est plus centrée sur sa propre reproduction et sur l'héritage matériel (la terre) mais sur l'avenir de l'enfant et le développement de ses capacités propres. Les parents du passé ont été élevés dans des familles qui considéraient l'enfant comme un être passif et incompétent. On imposait des règles rigides; il s'agissait de le dresser selon des règles héritées depuis des siècles. Une fois adulte, il devait devenir le digne représentant de la famille au sens large du mot, une famille dont il devait préserver l'honneur. Aujourd'hui, la socialisation a intégré les modèles véhiculés par la mondialisation. L'enfant commence à être vu comme une personne à part entière dont on valorise l'autonomie et le dialogue commence à s'instaurer entre parents et enfants. La distance par rapport au père est moins grande et le nouveau statut de la mère, surtout celle qui travaille, contribue à amoindrir le fossé entre vie publique et vie privée. On note cependant une relative absence du père qui semble se réserver au rôle ludique. Selon l'enquête du ministère de la Femme et de la Famille, 14% seulement des pères participent aux soins donnés aux enfants; il y a des différences importantes entre les milieux : 7% dans les milieux populaires, 9% dans les catégories moyennes et 22% dans les familles à niveaux économiques élevés. Notons enfin que si la famille est toujours le premier lieu de socialisation mais elle n'en est plus le seul lieu. Avec le jardin d'enfants et l'école, l'enfant s'ouvre à la vie publique. Il participe à la vie d'une nouvelle communauté et se trouve en mesure de faire des comparaisons. Il y a aussi le rôle des enseignants, plus celui de la rue, de la radio, de la télévision, d'Internet. Autre chose très importante, la taille de la famille se rétrécit et l'investissement affectif de l'enfant devient intense, ce qui renforce son identité.
Il faut souligner que les parents sont confrontés à deux modèles de socialisation opposés : celui du passé qui est basé sur des valeurs morales à référent religieux et qui privilégie le respect et l'obéissance, et un modèle indissociable de la modernité et du changement social. Dans l'enquête ‘Jeunesse', 80% des jeunes déclarent qu'ils peuvent compter sur leurs parents et qu'ils leur font confiance, il y a une amorce de dialogue; cependant, 90% des parents avouent qu'ils acceptent difficilement que leurs enfants aient des opinions différentes des leurs. Les parents sont fragilisés et hésitants.
On ne peut pas finir ce texte sans souligner qu'aucune des enquêtes réalisées dans les années quatre vingt-dix et deux mille n'a étudié le partage du pouvoir au sein du couple, ce qui constitue une lacune grave, cependant l'analyse d'un certain nombre d'autres variables permet de se faire une idée assez claire de l'évolution de la famille tunisienne, c'est ce que nous montrerons dans la conclusion suivante.
Dans cette communication, nous sommes partis de l'idée aujourd'hui soutenue par la plupart des sociologues que les droits de l'Homme tels qu'ils sont énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme des Nations unies, s'appliquent dans les sociétés industrielles où l'unité sociale de base est l'individu et non dans les sociétés agricoles où l'unité de base est la communauté. Nous avons ensuite montré que si la société tunisienne était jusqu'à la fin du premier tiers du XXe siècle une société rurale composée essentiellement de tribus, elle est aujourd'hui largement industrialisée et l'individu émerge.
La famille tunisienne s'est transformée en conséquence; c'est elle qui tend aujourd'hui à produire ce type d'homme que l'on nomme l'individu. Elle s'est nucléarisée sur le plan économique (elle n'est plus une unité de production), et affectif (elle investit affectivement ses membres devenus peu nombreux d'une façon intense, ce qui renforce leur identité). La taille de la famille est devenue restreinte, le choix du conjoint est libre et basé sur l'amour , l'écart d'âge entre les époux s'est réduit, le niveau d'instruction du mari et de la femme se rapproche, l'âge au premier mariage s'est élevé et les femmes ont investi le monde du travail. Les hommes commencent, quoique timidement, à participer aux travaux domestiques et à l'éducation des enfants. La socialisation des enfants tend à favoriser en lui l'indépendance et l'autonomie tandis que le mode de vie moderne le met en contact permanent avec des mondes diversifiés. Toutes ces données montrent que la famille tunisienne commence (mais on ne sait pas dans quelle mesure) à produire l'individu, l'homme qui applique et réclame les droits de l'Homme.


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