Lorsqu'une communauté est confrontée à de dures épreuves, que fait-elle ? Elle se serre les coudes. Elémentaire. Encore que certains feignent de l'ignorer et agissent comme si un tel comportement relève d'un pur instinct grégaire sans autres dimensions de solidarité, d'altruisme et d'engagement volontaire vis-à-vis de ses semblables. Nous sommes bien, aujourd'hui en Tunisie, face à de très graves problèmes de tous ordres et, en premier lieu, économique, évidemment. Et c'est, pour nous, l'occasion ou jamais de prouver notre solidarité, chacun avec celui qui est moins chanceux que soi. L'occasion ou jamais ? Ce n'est pas tout à fait vrai. Rappelez-vous, en pleine tourmente postrévolutionnaire, l'élan de solidarité, le tsunami de générosité qui a envahi les Tunisiens de toutes conditions qui se sont rués vers les frontières Sud-Est pour se porter au secours des naufragés des hallucinations kadafiennes. Et plus récemment encore, après les intempéries qui ont meurtri les populations du Nord-Ouest. En dépit de tous ses travers, le Tunisien reste toujours la main sur le cœur, et c'est ce qui autorise tous les espoirs. Mais quelle catastrophe se profile encore à l'horizon pour justifier une telle introduction ? Aucune, si ce n'est celle, ambiante depuis plus d'un an, du marasme économique qui se traduit par la paralysie de nombreux secteurs d'activités, en particulier dans les services. Tourisme en tête. Or, nous sommes à la veille des grandes vacances de printemps, celles qui, traditionnellement depuis quelques années, sont mises à profit par les familles pour aller prendre l'air ailleurs que chez eux, généralement dans le Sud, puisque la saison s'y prête. Oui, chaque année, autour du 20 mars en particulier, les Tunisiens se ruent par dizaines de milliers sur Tozeur, Nefta ou Kébili, pour le Sud-Ouest, ou vers Matmata, Tataouine, Zarzis ou Djerba pour le Sud-Est –et cela, pour n'évoquer que les régions disposant de bonnes infrastructures touristiques. L'an dernier, il ne pouvait en être ainsi pour la double raison invoquée plus haut. Et cette année ? Cette année, les vacances doivent être solidaires. Il faut partir en excursion, n'importe où il y a des hôtels — du moins ceux d'entre eux restés ouverts — moins pour les dépenses qu'on peut effectuer sur place, qui soulageront bien quelques menues misères mais resteront cautère sur jambe en bois, que pour entretenir l'espoir chez ceux qui auraient toutes les raisons de désespérer. Pour vous mettre l'eau à la bouche, je consacrerai les vadrouilles à venir à des excursions originales sous les cieux de notre beau Sud. Et, pour commencer, embarquons pour Tozeur. Magie de partout Tozeur, me diriez-vous, c'est archi-connu. Et, de toute façon, cette année, les principaux pôles d'attraction de la ville et de la région risquent bien d'être fermés. C'est vrai, mais la célébrité n'ôte rien à la magie des lieux, celle qui est suspendue aux cimes des palmiers et celle qui émane d'une terre aux richesses multiformes. Et, pour vous appâter, je vais vous conduire dans un endroit de la «forêt» comme on dit là-bas, où vous serez sous le sortilège. Si vous êtes coutumier de l'endroit, et si vous n'y aviez pas été initié par les autochtones, il y a de très fortes chances pour que vous soyez passé de multiples fois devant celle que j'ai entendu appeler Lella M'bagga sans sans vous en rendre compte. Alors, plus encore si vous n'êtes jamais allé là-bas, prenez une calèche et demandez au cocher de vous y conduire. Dans le temps, ce coin de la palmeraie de Tozeur était considéré comme excentrique, accessible par une piste poussiéreuse et tortueuse connu par les seuls oasiens, enfoui dans les épaisseurs d'une végétation drue qui en accentue l'isolement au point d'en avoir fait le lieu de retraite d'un mystique très vénéré à Tozeur, Sidi Ali Boulifa dont le souvenir se perd dans la nuit des temps. A sa mort, le saint personnage a été inhumé sur les lieux mêmes de sa retraite et une coupole a été érigée au dessus de sa sépulture pour en faire un lieu de pèlerinage. Jusque-là, rien que du très ordinaire sous nos latitudes. Ce qui interpelle, par contre, c'est la présence d'un jujubier (m'bagga) dont, au vu de ses dimensions, on ne sait trop s'il a été planté du vivant du saint, après ou avant lui. Cet arbre déploie de puissantes branches sur une dizaine de mètres de diamètre. Bien plus, certaines de ses branches, ployant sous leur poids, ont touché le sol où elles ont pris racine comme pour prendre appui et repartir avec la vigueur de jeunes pousses ! Un véritable monument, cet arbre. Et il fait l'objet d'une vénération presqu'aussi fervente que celle qui entoure le saint personnage qui sommeille à son ombre, comme la multitude de disparus qui reposent à son (ses ?) pied(s). En effet, les descendants de Sidi Boulifa se font enterrer sous cet arbre dont les feuilles doivent tapisser le caveau avant de recouvrir la dépouille, elle-même par la suite tout simplement enfouie sous le sable. Comment expliquer cette vénération pour le jujubier ? Les fidèles répondent que cet arbre va chercher l'eau qui arrose ses racines à la source de Zemzem, à la Mecque...