Et si on posait cette devinette : quelle est la chose qui rend les femmes plus tendres et les hommes plus aimables ? Inutile de chercher longtemps la réponse, en ce mois de mars d'une année particulièrement pluvieuse. Il s'agit, vous l'avez certainement deviné, de la truffe. La citation est du père de la gastronomie des temps modernes, Brillat-Savarin. Brillat-Savarin, rompant avec l'obscurantisme culinaire du Moyen-Age, a renoué avec les pratiques de table de l'Antiquité, où raffinement et sensualité vont de pair avec une gloutonnerie frisant l'extravagance. La truffe est un champignon souterrain qui jouit d'une grande notoriété dans le monde entier. Contrairement aux autres champignons, il naît, végète et meurt à l'état de tubercule, sans jamais apparaître à la surface du sol ; il ne développe ni branches ni feuilles. Pour le découvrir, les humains ont dressé des animaux à l'odorat fin, tout en prenant soin de les museler, pour qu'ils ne partagent pas leurs découvertes avec leurs maîtres. Pour nous, en Tunisie, la chose est plus simple : nous nous fions à notre observation. Après chaque orage subit, nos paysans sortent pour découvrir la précieuse truffe qui est pour eux (au masculin) «l'enfant du tonnerre» (litt. oueld erraad). La truffe, terme latin, a été africanisée pour devenir terfès. Normal, me diriez-vous. Les truffes d'Afrique ont longtemps trôné sur les tables de la noblesse romaine. La truffe adore notre territoire ; elle a une prédilection pour les terres légères des plaines sans fin de l'extrême sud de notre pays. Elle ne dédaigne pas non plus l'immense plateau kasserinien. Nous récoltons le terfess toute l'année, avec des pointes d'abondance qui varient selon les années et les saisons. Pour cette année, nous attendons encore la primeur de la Kasserienne, qui fait partie, selon la nomenclature internationale, des truffes blanches. Quant à l'autre variété la plus appréciée des fins gourmets de Tunisie, et d'ailleurs, elle est classée parmi les noires. En vérité, elle est noiraude, ressemblant beaucoup à sa cousine du Périgord, dans les pays des Francs et que les becs fins de ces contrées ont appelée, à juste titre, «diamant noir». Le diamant noir de Tataouine a le cœur rose et veiné; il est plein de vie, presque animé, mais il a perdu avec le temps son prestige d'autant; les temps sont durs pour lui. Les Tunisiens d'aujourd'hui ont, sur ce plan, perdu les goûts antiques, sans pour autant se convertir à la subtilité des saveurs modernes. Sinon, comment expliquer l'inexistence, à notre connaissance, ni de saison, ni de marché de truffes, ni non plus de festival national dédié au terfess, particulièrement celui de Tataouine. Peut-être que cette friandise des dieux, a la réputation d'être aphrodisiaque et nous devenons de plus en plus bigots avec les plaisirs de bouche. La sensualité des aliments ne nous séduit plus. Nos cuisiniers, pour une grande majorité d'entre eux, puisent leur inspiration de modèles alimentaires étrangers, surtout ceux du Moyen-Orient, jugés proches de notre identité alimentaire. Nos truffes, qui ont fasciné le monde ancien, peuvent devenir, si nous nous mettons au goût du jour, un précieux produit touristique, pour draîner visiteurs locaux et internationaux, dépensiers et connaisseurs. Les connaisseurs, les vrais, ne lésinent jamais sur le prix.