Ce champignon, car il s'agit bien d'un champignon, a, dans l'Antiquité, porté notre prestige au-delà des mers : il garnissait les tables les plus raffinées de l'empire romain tout entier. La truffe africaine, de l'Africa romana, bien entendu était parmi les produits les plus appréciés du monde méditerranéen antique. Encore aujourd'hui, notre truffe continue à séduire certains princes du Moyen-Orient qui organisent, pour s'en procurer, de véritables campagnes de cueillette et de dégustation. Nous pensons que le nom de ce tubercule provient de notre appellation locale terfès, puisque les Latins utilisent la racine tuber pour la désigner et les Arabes l'appellent kamâ(t), mot dont nous ignorons les origines. La truffe naît et se développe sous terre. Précieuse, elle ne se dévoile pas à la première sollicitation; boudeuse, elle n'apparaît qu'à la suite d'un orage avec tonnerre qui creuse des sillons dans la terre. Pour cela, nos paysans l'ont l'appelée oueld-erraâd (litt. fils du tonnerre). Que fait-on quand le temps n'est pas à l'orage? Nos voisins du Nord, éleveurs de cochons, utilisent des porcs muselés. Quant à nous, nous préférons aux porcs des chiens dressés à cet effet. Il semblerait qu'ils soient plus efficaces surtout qu'ils sont moins végétariens que leurs concurrents, et le risque qu'ils partagent la récolte avec les humains est réduit à zéro ou presque. A part chez ceux qui habitent les zones de production dans le Centre et le Sud, le terfès est mal connu et peu apprécié par nos contemporains en Tunisie. L'antiquité est bien loin et les goûts fins, surtout quand ils paraissent rustiques, n'ont plus la cote chez nous, qui sommes amateurs du vif, du piquant et de l'acidulé. L'intérêt tout récent pour ce délice provient, comme pour beaucoup de nos produits les plus singuliers, de notre ouverture culinaire sur nos voisins d'en face dont les médias nous inondent à longueur de journée, de recettes dont certaines ont été empruntées à notre patrimoine culinaire. Nous produisons, dans l'extrême sud de notre pays, une truffe que nous pouvons qualifier de sœur jumelle de la très prestigieuse truffe du Périgord connue sur toute la planète parce que labellisée; sa sœur de Tataouine est restée confinée dans son terroir, et quand elle est proposée dans certains marchés de la capitale, elle reste sans acheteurs malgré son prix modique, par rapport aux cours de ce genre de denrées. La truffe de Tataouine ne diffère, ni en son aspect extérieur ni à son goût délicat, de celle qu'on a convenu d'appeler «le diamant noir». Toutes deux sont petites, de teint noiraud, globuleuses et verruqueuses, toutes deux sont abondantes entre la mi-décembre et la mi-mars avec la saison de pointe en janvier. Mais là s'arrête la comparaison; la truffe du Périgord est de toutes les fêtes, essentiellement celles de fin d'année. Quant à la nôtre, celle de Tataouine, elle ne festoie pratiquement jamais. Notre seconde variété de truffes a élu domicile dans les terres sablonneuses des hautes steppes à Kasserine. Sa saison est cette période de l'année. Elle apparaît avec les orages de l'arrière-saison, entre avril et juin. Affichant une couleur plutôt beige, et prenant la forme d'une pomme de terre, elle remplace celle-ci dans les préparations locales (eh ! oui…) La truffe et la pomme de terre ont toujours fait bon ménage. Cette dernière est une tubercule (de tuber, le nom latin de la truffe), et la pomme de terre a longtemps été appelée truffe en français. Pour les gens du Kasserinois, la meilleure manière de consommer le terfes est en ragoût. Pour ceux qui ont connu ce mets à travers les médias étrangers, il est le plus souvent consommé en salade, cru et légèrement assaisonné, pour sauvegarder sa saveur extrafine. Autrement, les plus exigeants l'utilisent pour truffer une volaille. Le terfès est vendu frais ou parfois séché pour servir à saupoudrer des pâtes où il remplace avantageusement le fromage.