Ni la crise économique ni l'ambiance politique en ébullition ne semblent influer sur le génie du créateur et de l'artisan tunisiens. Les visiteurs du Salon national de l'artisanat, qui se tient du 23 mars au 1er avril 2012 au Parc des expositions du Kram, l'ont forcément constaté. Les produits exposés en témoignent. Une multitude de gammes de produits artisanaux, relevant de différents domaines, confèrent aux trois halls d'exposition une touche artistique où l'authentique se mêle au moderne dans une parfaite corrélation: celle du bon goût. Du tissage au cuivre en passant par la boiserie, la broderie, l'habit traditionnel, les bijoux, la poterie et l'orfèvrerie, le regard se perd dans un tourbillon d'inspiration et du beau. Il est 12h00 en ce mardi 27 mars. Le parking du Parc des expositions du Kram est plein à craquer. Séduits par le thème, à savoir l'artisanat tunisien, des visiteurs de tout âge sillonnent les divers pavillons, dénichant des articles de qualité à des prix promotionnels. Il faut dire que les produits d'artisanat obéissent toujours à une fourchette de prix assez élevée, justifiée sans doute par la qualité de la matière première et par la main-d'œuvre. Mme Khadija Khouini est artisane créatrice, spécialisée dans le domaine du cuivre. Participante assidue au Salon de l'artisanat, elle marque cette année sa présence par une collection de produits mariant le cuivre avec d'autres matières nobles, comme le verre soufflé, le bois mais aussi le crochet. « Mes produits relèvent de l'artisanat modernisé, voire revisité. J'opte toujours pour le mariage du cuivre avec d'autres matières, car je trouve que l'article acquiert une touche à la fois artistique, utile et anoblie. C'est le cas, par exemple, de ce plateau, fabriqué de cuivre et de bois et dont le modèle reprend celui du tamis . Cette coupelle en cuivre traditionnel et couverte d'une cloche en verre soufflé est idéale pour servir les petits gâteaux», indique Mme Khouini. Autres produits sympathiques: des services à thé dont les ronces sont recouvertes de crochet fin afin de prévenir la chaleur du métal contenant du thé chaud. Des articles qui, outre la luisance du métal, sont retouchés par des couleurs pastel, et autres méditerranéennes. Côté prix, le cuivre demeure un produit de luxe, nécessitant un budget assez costaud. En effet, le grand plateau de service en cuivre et en bois est à 200 DT. La coupelle en cuivre et en verre soufflé est à 150 DT. Miroirs de Tanit? Un peu plus loin se trouve le stand de M. Ben Ismaïl, un jeune artisan, spécialisé dans l'art de la mosaïque. Certes, les fresques de mosaïques ne sont plus indispensables dans les foyers tunisiens comme c'était le cas pour les Phéniciens. Toutefois, il représente une part d'authenticité pour bon nombre de Tunisiens. Décorant les espaces extérieurs comme ceux, intérieurs, la mosaïque marque une empreinte très spéciale dans la décoration. «Certains clients recommandent des fresques pour embellir les jardins et les espaces découverts. Pour notre part, nous tâchons d'introduire la mosaïque dans des articles de décoration d'intérieur comme ces miroirs en bois et mosaïque dont la pièce coûte 75 DT ou encore cette table basse qui contient, au centre, une fresque en cercle et se vend à 400 DT», explique notre interlocuteur. Pour lui, les tentatives de modernisation de la mosaïque et de son insertion dans la décoration d'intérieur ne doivent aucunement altérer sa spécificité. « Les couleurs de la mosaïque authentique sont, incontestablement, les couleurs de la terre. Le mariage de cet art avec d'autres matériaux doit impérativement suivre cette conception», ajoute M. Ben Ismaïl. Manifestement, l'artisanat tel qu'il est vu par ses nouveaux maîtres ne peut qu'obéir à l'équation authenticité-modernité, ce qui le sort d'un contexte révolu pour devenir utile, adaptable à la vie moderne et aux goûts des Tunisiens tous âges confondus. L'habit traditionnel, avec ses tissus nobles et ses diverses broderies, a lui aussi accepté le défi. Mme Sonia Jammali, styliste, propose des tenues traditionnelles modernisées pour femmes ainsi que pour la gent masculine. Des jebbas, des caftans, des ensembles pour dames ainsi que des costumes pour hommes sont faits à partir de chantoung de soie, de « hayek» de pure soie ou encore de mousseline de soie. Des tenues qui, outre la valeur du tissu, sont immanquablement garnies de broderies. « J'utilise plusieurs types de broderies, mais celle qui me tient le plus à cœur c'est la broderie de Rafraf. Pour les couleurs, je me lance souvent dans des coups de folie, osant le bordeau et le bleu, le rose fushia et le vert amande criard. En fait, c'est la nature et la végétation de ma région natale Bizerte qui m'inspirent. Et voilà que les clients trouvent toujours ce qui peut satisfaire leurs goûts», explique Mme Jammali. Notre styliste part souvent du moderne pour l'imprégner d'une touche traditionnelle, une tactique qui commence même à intéresser la clientèle masculine. « Je tiens toujours à attirer les jeunes vers l'habit traditionnel, car sans notre authenticité, nous ne pouvons aucunement aller vers le futur. Certains jeunes hommes me suggèrent même des coupes slim, à la mode. L'idée étant de leur permettre d'être habillés à la fois traditionnellement, élégamment et d'être bien dans leur peau», renchérit notre interlocutrice. Le Gtif ressuscité La présence de la tapisserie locale dans le Salon de l'artisanat est incontournable. Ce produit noble et indispensable dans la décoration d'intérieur demeure une référence de l'authenticité et de raffinement. Le tapis tunisien semble se soustraire de la sphère du modernisé. L'on découvre quasiment dans toutes les foires les mêmes modèles, les mêmes couleurs et les mêmes motifs d'antan. En réalité, les choses évoluent même pour la tapisserie. M. Habbechi occupe un stand où il n'est pas possible de distinguer les tapis aux motifs qui sortent de l'ordinaire. « Ce n'est pas un modèle iranien, nie-t-il indigné, c'est le Gtif, purement tunisien. Il s'agit d'un genre traditionnel, issu du Sud tunisien. Nous l'avons réintégré dans la chaîne artisanale. Ces tapis sont d'autant plus de valeur qu' ils prennent des colorations nobles car naturelles, extraites de plantes et de fruits». Des motifs fort compliqués, rehaussés par des couleurs chatoyantes, confèrent au Gtif un aspect distingué. D'autres tapis reprennent les motifs de la fameuse faïence ottomane. Pour M. Habbechi, la modernisation du tapis tunisien réside dans des détails à la fois innovants et respectant l'authenticité du produit. Comme ce tapis dit « alloucha» qui, tout en respectant les couleurs naturelles de la laine, offre au client un modèle simple, garni de motifs berbères. Ou encore ce tapis dit « Yasmina» qui, tout en se limitant à un duo de couleurs ton sur ton, est enrichi par une touche de soie. « Il est important de souligner que nous veillons à proposer des tapis de plus de valeur et plus durables dans le temps. Pour ce, nous travaillons selon la technique 30x30, soit 90 mille nœuds par mètre carré. Les tapis qui envahissent les magasins d'artisanat sont fabriqués selon la technique 20X20, dite « dakket echrine», soit seulement 40 mille nœuds par mètre carré. C'est ce qui explique le prix plus élevé de nos tapis», indique notre interlocuteur. Le grand tapis dit Gtif est en effet à 800 DT.