Par Yassine ESSID Islamistes et modernistes sont unanimes à reconnaître aujourd'hui que le salafisme est devenu un problème crucial pour la société et pour la démocratie. Mais si le parti au pouvoir s'en accommode, tant bien que mal, les autres formations politiques ne cessent d'en dénoncer les dérives violentes et l'intolérance. A la question comment s'y prendre pour lutter contre ce courant, les réponses diffèrent quant aux moyens à mettre en œuvre. On peut toutefois distinguer deux types d'approches. Il y a le camp de ceux qui optent pour la voie de la raison, auxquels on reproche de minimiser le danger ou de fermer les yeux en prônant le recours au dialogue, d'être assez naïfs pour croire aux mérites de la communication avec les dirigeants de ce courant à travers un combat d'idées et de convictions et d'oser convenir que les outrances perpétrées par les salafistes relèvent de l'exercice normal du droit à la liberté d'expression. A l'autre bout, leurs détracteurs, accusés d'être les adeptes du tout répressif qui rejettent toute forme de dialogue avec des fanatiques dénoncés comme ennemis de la liberté, alliés du terrorisme, partisans de l'idéologie du takfir, qui ne reconnaissent aucune autorité à l'Etat ni aux partis politiques, y compris celui des islamistes. Ceux-là exigent l'application de la loi dans toute sa rigueur et exhortent les pouvoirs publics à user de la force pour protéger les personnes du comportement agressif de ces illuminés qui mettent en péril l'avenir du pays. On ne peut que se réjouir de voir de telles questions interpeller toutes les sensibilités de la société et susciter des débats contradictoires, mais s'inquiéter en revanche lorsque des divergences inconciliables sur ce sujet s'installent au plus haut niveau de l'Etat. Elles renvoient alors, plus gravement, aux modalités de prise de décision au sein du gouvernement, à la légitimité de celles-ci et à l'exercice même de l'autorité. Dans le tumulte des commentaires exprimés ici ou là, sur cette affaire, deux interventions méritent qu'on s'y attarde. A la question, posée par le quotidien Al-Maghreb (28-4-2012) à propos de la menace salafiste, un ministre-conseiller auprès du Premier ministre, apparemment solide partisan de l'approche minimaliste, estime qu'on a tort de trop dramatiser à propos d'un phénomène somme toute naturel, qui fait suite à des décennies de répression. Il n'y aurait là, d'après lui, que la manifestation d'une jeunesse exaltée par un projet politique et de civilisation. Attitude conciliante, raisonnable même, à laquelle l'esprit ne peut que souscrire, sauf qu'à trop vouloir être tolérant, on finit par devenir laxiste et de connivence suspecte. Les choses se compliquent cependant lorsqu'il est question des moyens préconisés. Là, le haut dignitaire du régime évacue toute intervention de l'Etat qu'il qualifie «d'institution symbolique» lui préférant les vertus d'une politique éducative qui redonne aux institutions religieuses, telle que l'université Zitouna, leur vocation première pour contribuer à la culture religieuse des salafistes. Ainsi, pour cet agent du pouvoir gouvernemental, les éléments constructifs de l'Etat ne seraient alors que l'autorité suprême de Dieu, la constitution d'une communauté de solidarité, la umma, l'instauration de la charia et le respect d'un rituel unificateur. Nul besoin alors de puissance publique pour lutter contre les militants de cet islam radical. Etrange manière tout de même pour circonscrire un mouvement devenu incontrôlable, menace de plus en plus la paix civile, ne partage aucune des valeurs de la démocratie, appelle au meurtre, dont la logique est de condamner tout comportement différent comme blasphème, qu'on ne peut apaiser ni intégrer tant ses doléances et ses ambitions sont sans limites et qui, de l'aveu même du ministre de l'Intérieur, est devenu franchement inquiétant. Rappelons au ministre-conseiller auprès du Premier ministre chargé de la culture et de l'éducation, dont la mission au sein du gouvernement est assurément de méditer le modèle idéologique futur du régime, que c'est en dehors des mosquées et sur d'autres scènes publiques que se jouent aujourd'hui les défis des salafistes, et qu'en attendant la revivification pédagogique de la Grande Mosquée, il serait plus judicieux de commencer d'abord par interdire l'entrée des prédicateurs extrémistes dont les tribunes ont pour effet de conforter les intégristes dans leurs insanités et d'ériger en normes leurs comportements irresponsables. A l'attitude abusivement complaisante du ministre-conseiller, s'oppose la déclaration nettement plus vaillante de son collègue de la culture. Ses propos, nécessairement de nature culturelle, constituent un véritable défi à tous ceux qui opposent croyants et non croyants, hommes et femmes, Islam et Occident et veulent imposer leur mode de vie par la tyrannie. En bon protecteur des arts, il préconise contre les salafistes l'usage, non de la force mais de la douceur, non la violence mais l'amusement, une thérapie plus adaptée à la vocation de son département et entend pour cela mobiliser ses troupes... de danse avec la foi qui soulève des montagnes. Dans un ultime challenge, il annonce la célébration, le 29 avril prochain, de la journée mondiale de la danse en appelant à la contribution active de tous pour la réussir. La guerre à l'obscurantisme est ainsi déclarée en opposant aux ennemis de la raison ce qu'ils maudissent par-dessus tout : la joie de vivre. Ce n'est alors que réjouissance par la danse, que sublimation du corps, que rythme et harmonie, que transport collectif sur les ailes de l'oubli. Alors on chante... Lalalalalala, Lalalalalala Et là tu t'dis que c'est fini car pire que ça, ce serait la mort. Quand tu crois enfin que tu t'en sors, quand y en a plus et ben y en a encore ! Alors on danse... Lalalalalala, Lalalalalala