«Les enjeux économiques et sociaux de la transaction vers la démocratie en Tunisie », a été le thème d'un séminaire international organisé les 16 et 17 avril à Sfax par l'Association de recherche pour le développement économique et social (Ardes) et l'Institut supérieur de gestion industrielle de Sfax (Isgi) en collaboration avec la fondation Friedrich Ebert. Cette rencontre scientifique a connu la participation d'universitaires et chercheurs d'Espagne, France, Allemagne, Portugal et de la Tunisie. Les expériences en matière de transition démocratique des pays de l'Europe centrale, de l'Europe de l'Est, de l'Espagne et du Portugal ont été au centre des interventions des conférenciers. L'approche comparative a été adoptée au cours de ce séminaire pour mettre l'accent sur les parallèles et les différences. L'objectif de ce séminaire est d'appréhender, après le choc perturbateur, le cadre et les conditions d'un cheminement vers la démocratie et sa consolidation avec une remise du pays sur la trajectoire d'un développement harmonieux, équitable et moins discriminatoire. Etant conscient que la révolution donne naissance à une phase déstabilisatrice, il est évident qu'il n'existe pas de modèle universellement reconnu permettant d'instaurer la démocratie quel que soit le pays concerné. M. Abdelfatteh Ammous, professeur émérite à l'université de Sfax a indiqué que : «depuis les années 70, le monde arabe traverse des périodes difficiles et instables marquées par un marasme politique, une stagnation économique et des inégalités sociales. Les droits de l'Homme ont été bafoués par le renforcement de la dictature policière ou militaire. La classe moyenne est réduite et marginalisée. Les sociétés arabes se caractérisent par un taux élevé de chômage, l'inflation et la pauvreté. La crise économique mondiale a eu des conséquences sur toutes les économies arabes traduites notamment par un recul significatif des taux de croissance réels et réduction sensible des exportations. L'effondrement brutal de ces économies a conduit aux révolutions populaires ». Voilà plus d'un an qu'au nom de la liberté et la dignité, la révolution tunisienne a éclaté. Le processus de la transition vers la démocratie s'en trouve engagé et marque la rupture avec plusieurs décennies de dictature. La mobilisation de toutes les forces est impérative pour réussir une transition démocratique harmonieuse à même de jeter les bases d'un système politique ouvert à toutes les composantes politiques du pays. La réussite du modèle économique tunisien avec 5% de taux de croissance annuel moyen depuis les années 90 favorisée par l'inscription dans un double processus d'intégration mondiale et régionale matérialisée par l'ouverture des marchés, la libéralisation des échanges, l'attractivité des flux d'investissements directs étrangers, a formé un écran masquant des réalités économiques et sociales que la crise économique de 2007 a exacerbées. Le développement économique qu'a connu la Tunisie s'est révélé incapable de répondre aux aspirations sociales. Les conditions de vie sont devenues plus dégradées et le chômage a frappé les jeunes. Les régions intérieures ont été marginalisées et la corruption s'est intensifiée. Ces constats montrent la nécessité d'une transition démocratique accompagnée de réformes économiques structurelles pour mettre fin aux déséquilibres sociaux. Une équité sociale relativement plus soutenue qui aide à réduire le taux de pauvreté dans les régions intérieures peut être la base d'une économie plus soutenue. Economies brisées Le professeur Ammous a montré qu'actuellement les gouvernements de transition sont incapables de restaurer les économies brisées par les révolutions et les grèves. Les changements ne sont que superficiels puisque les structures anciennes demeurent encore. On a l'impression qu'il s'agit d'un changement de politique et non de régime, encore moins de systèmes. On craint que le printemps arabe se transforme en un automne arabe. M. Ammous a même parlé de trois scénarios possibles des révolutions arabes : un scénario miliaire comme le cas de l'Egypte dont le peuple considère que la révolution est inachevée. Le scénario démocratique chaotique (le cas de la Tunisie) et un scénario islamique ( la Libye). Le professeur Yassine Essid de l'Université de Tunis a parlé d'un soulèvement populaire en Tunisie plutôt que d'une révolution proprement dite. Il a souligné que « réduire le processus démocratique seulement à des élections est une grave erreur ». Il est évident qu'il n'existe pas de modèle universellement reconnu permettant d'instaurer la démocratie. L'acheminement vers la démocratie et sa consolidation avec une remise du pays sur la trajectoire d'un développement harmonieux, équitable et moins discriminatoire est la responsabilité de tous. M. Gyorgy Szell, professeur à l'Université d'Osnabrueck d'Allemagne a parlé de l'expérience de la transition démocratique de l'Europe centrale et de l'Est. Il a indiqué que : « La démocratie est un processus de lutte démocratique et pas un fait. Les droits de l'Homme sont au centre des transformations démocratiques. Au cours d'une transition démocratique, les tables rondes réunissant tous les acteurs, les ONG, les partis politiques et les intellectuels sont nécessaires pour discuter de l'avenir économique, politique et social du pays. Il faut trouver un modèle pour la démocratisation. De même, le syndicat, les employeurs et l'Etat doivent se mettre ensemble pour faire un partenariat social et développer un modèle social. Il faut dire que le prix de la transition démocratique après une révolution politique est énorme. Chaque citoyen a un devoir de participation au processus démocratique ».