Nous Tunisiens, nous avons le rythme dans le sang, cela est certain ! Notre héritage musical, nos fêtes et même notre quotidien en témoignent largement, mais nous ne nous suffisons pas des évidences. Loin de là ! Nous creusons, cherchons, cogitons pour expliquer de manière rationnelle et approfondie ce qui nous entoure, ce qui semble le plus banal. Qu'est-ce que le rythme alors? C'est justement la question à laquelle ont essayé de répondre plus de vingt chercheurs tunisiens dans le colloque scientifique organisé les 4 et 5 mai courant par l'association tunisienne pour la recherche en musique et musicologie (Aturemm), au Centre des musiques arabes et méditerranéennes (Cmam). Ayant pour intitulé « Le rythme en musique : entre théorie et pratique », cette rencontre a réuni une pléiade de musicologues (tous exclusivement enseignants dans les instituts de musique de Tunisie) qui ont abordé la question du rythme sous différents angles. Ainsi, sept séances ont été consacrées pour décortiquer cette composante essentielle de la musique. Sur le thème « L'improvisation rythmique dans le processus créatif », M. Lassaâd Ben Hmida s'est penché, dans son intervention, sur l'explication du concept d'improvisation à partir de références aussi bien occidentales qu'arabes avant d'en donner une certaine taxinomie. Le rboukh (ou le mezwed) étant une musique rythmique par essence, le chercheur s'en est basé pour dégager différentes techniques et formes d'improvisation en analysant et décodant les prestations de Lassaâd Laamari, « mzawdi » de son état. Il a cité « esstaka», « etwarwir », « ettarîda », « ettawriq » et nous en passons! L'une des conclusions de cette communication est que l'acte d'improvisation musicale est tributaire de la prédisposition ou du don (l'inné) de l'artiste, de la formation orale ou académique (l'acquis) de ce dernier, de son état affectif et psychologique et enfin, de l'opération de réception et d'interactivité avec le spectateur. L'improvisation rythmique est loin d'être une simple technique, du moins pas seulement, c'est un processus de création, certes instantané, mais qui obéit à des normes particulières. Dans son intervention intitulée « Le plaisir du mouvement dans l'effort du travail et celui de la danse: le rôle du rythme dans la création chorégraphique », Mme Saloua Ben Hfaîedh, spécialiste en sociologie et anthropologie de la danse, s'est intéressée au corps. Après avoir donné un essai de définition du rythme, avec ses différentes acceptions, elle a montré comment plusieurs danses traditionnelles sont inspirées des mouvements du corps pendant le travail et même des travaux forcés. Au risque de décevoir plus d'un, la valse, à titre d'exemple, serait à l'origine un mimétisme des gestes effectués lors du battage du blé avec les pieds dans un mouvement circulaire ! Eh oui, la valse... qui l'aurait cru ? Par ailleurs, l'intervenante précise que même dans une ère où le discours sur le corps est multiple et où il est le centre d'intérêt de plusieurs disciplines, l'hégémonie des nouvelles technologies rend l'écoute du corps tronqué. De son côté, M. Samir Bacha s'est concentré sur l'étude du rythme dans le rap, un genre musical assez particulier que le chercheur n'a pas omis d'en révéler les caractéristiques principales, qu'elles soient sociologiques ou musicales. L'analyse de plusieurs chansons rap tunisiennes a montré l'existence de caractéristiques communes comme l'utilisation d'éléments sonores existants, du scratch, du même fond rythmique au début et à la fin, de la musique coupée, de la répétition, du freestyle, du breakbeat, etc. Toutefois, chaque artiste a ses accentuations et ses improvisations personnelles. M. Ridha Hichri s'est intéressé à l'aspect consumériste du rythme musical. Il a expliqué comment cet élément important de la musique se trouve utilisé pour des fins mercantiles et non plus pour une simple délectation esthétique. Que ce soit dans les spots publicitaires, les clips vidéo, les espaces publics, le rythme devient un instrument au pouvoir sans équivoque pour inciter à la consommation et fait désormais partie des stratégies marketing. Pour ne citer que cet exemple, le choix d'une musique dans un restaurant se fait dans un pur souci de rentabilité. D'après R. Hichri, des expériences ont été menées dans plusieurs de ces espaces et ont montré que plus la musique est ryhtmique, plus le client consomme moins et vice versa... Il ne s'agit pas évidemment des seuls sujets intéressants abordés dans ce colloque scientifique. Le rapport entre les formules rythmiques et les structures mélodiques, l'enseignement du rythme, ses méthodes et ses évaluations, la relation entre le rythme poétique et le rythme musical, les instruments de percussions traditionnels, le rythme dans la récitation du Coran, la problématique de l'écriture et nous en passons, sont autant de questions importantes qui ont été appréhendées. Belle initiative donc de l'Aturemm, cette jeune association aux objectifs fort ambitieux, qui nous a dévoilé le rythme dans tous ses états ! Maintenant, il ne nous reste qu'à espérer que les rythmes envahissent, cet été, toutes nos scènes. Et que les fêtes commencent !