Trompettiste franco-libanais, Ibrahim Maâlouf, dont la double culture a enrichi le parcours artistique, a été formé à la musique classique au CNSM de Paris. Né dans un environnement familial où la musique est reine, il apprend, en parallèle de ses études, à maîtriser la trompette quart de ton inventée par son père. Ce qui lui permet de jouer les tonalités orientales. Il s'imbibe en parallèle, déjà grand comme trois pommes, des sons de piano de sa mère, musicienne accomplie. Cette ouverture artistique l'amène rapidement à collaborer avec des artistes aussi connus que Lahsa de Sela, Mathieu Chedid, Vincent Delerm, Sting…Nous l'avons vu pendant le dernier festival de Ramadan déchaîné sur la scène des Jardins du palais Kheireddine, dans ses parties de jazz plutôt énergiques, de swing jubilatoire et de rythmiques rock assez hard. Alia Sellami, de son côté, a reçu une formation artistique précoce en musique arabe et en danse (elle est la fille d'Anne Marie Sellami, danseuse et chorégraphe). La jeune femme complète ses études par une thèse en musicologie classique obtenue à La Sorbonne. Elle se perfectionne en chant classique avec Mireille Alcantara et en chant arabe avec Ali Sriti. Comme Ibrahim Maâlouf, Alia Sellami remporte de nombreux concours internationaux. Essentiellement pour ses prestations de soliste lyrique, tels que le prix de la Sacem des Maîtres du chant en 2004. Artiste éclectique, Alia Sellami interprète aussi bien des morceaux de jazz que du chant classique et de la musique arabe ; elle pratique aussi l'improvisation. Avec l'ensemble vocal Aloès, elle a créé en 2008 le spectacle Nafass (souffle), un bouquet de chants sacrés de différents pays qu'elle a interprétés a capella avec l'ensemble de sa formation. Nafass a reçu tout de suite un accueil très favorable de la part du public et des critiques. Le concert que nous ont présenté, avant-hier soir, dans un Acropolium archi plein, les deux artistes — qui ont en commun le métissage heureux des cultures et des registres musicaux — rassemble les deux sensibilités d'Alia et d'Ibrahim. Un exploit, dirions-nous, puisqu'ils ont eu droit uniquement à trois jours pour se rencontrer, travailler ensemble et préparer ce spectacle. Une résidence de création organisée par l'Institut français de coopération et qui s'est déroulée dans le cadre de l'Octobre musical de Carthage. Au programme, des duos de Nafass revisités par la trompette d'Amin Maâlouf, des compositions au parfum oriental-jazz de l'artiste franco-libanais, qui a su prendre le pli du souffle mystique que privilégie tant Alia Sellami, des morceaux a capella interprétés avec la complicité d'Achraf Chargui, Olfa Souissi et Walid Hkiri, les choristes d'Aloès et surtout beaucoup d'improvisation. Notamment lors de la dernière partie du concert, où les deux artistes ont laissé libre cours à leur fantaisie, leur spontanéité et leur sens de l'humour et de l'espièglerie. Ainsi qu'à l'envie de s'aventurer dans un élan de déconstruction, qui rompt avec tout ce qu'ils ont présenté auparavant. Lui, circulant dans les quatre coins de l'Acropolium, montant et descendant les étages, armé de sa trompette, évoluant du cri militaire à un son animal, à un éclat de voix plus humaine. Elle, lui répondant du tac au tac, par sa voix parfois douce, parfois plus puissante, un brin jazzy dans le même esprit joyeux du jeu et de la badinerie. Le spectateur ressent toute la complicité qui s'est apparemment très vite installée entre les deux artistes. Espérons que cette collaboration, qui a démarré sous les meilleurs auspices, donnera jour à un projet plus abouti…