A la croisée des chemins menant à un cadre juridique et institutionnel qui devrait mettre le train de la justice transitionnelle sur les rails, de multiples initiatives associatives et des vagues de projets y afférents se profilent, ainsi, à l'horizon, dans le sillage d'un dialogue national, actuellement en cours, sur ce dossier aussi controversé. Et pas plus tard que ce samedi, un groupe d'experts arabes, en conclave pendant deux jours, à Tunis, est parvenu à concevoir des principes directeurs de la justice transitionnelle dans la région. En marge de cette rencontre à huis clos, dont les concertations et les recommandations devaient déboucher sur une feuille de route commune, censée tenir compte des spécificités du «printemps arabe», un rapport de synthèse sur la justice transitionnelle a été présenté lors d'une conférence de presse, samedi matin, à Tunis. Réalisé sous l'égide de l'Institut arabe des droits de l'homme (Iadh), par un groupe d'étudiants bénévoles et avec les soins de M. Wahid Ferchichi, professeur en droit et coordinateur de travail du Centre international de la justice transitionnelle, ce rapport aux cinq chapitres couvre la période post- révolutionnaire, allant du 14 janvier au 23 octobre 2011. Il vient récapituler, documents et témoignages à l'appui, tout ce qu'a trait aux volets suivants : recherche des vérités, poursuites judiciaires des criminels, indemnisation et réparation, réformes et préparation d'un avenir meilleur, pour aboutir enfin à la réconciliation. Il s'agit, à vrai dire, d'une évaluation à mi-parcours. Accompagnés de ses hôtes arabes, M. Abdelbasset Ben Hassen, président de l'Iadh, a ouvert la conférence par des éloges adressés aux médias, louant leur apport considérable dans la couverture des faits et leur éminente contribution dans la diffusion de la culture du dialogue, des droits de l'Homme et de l'équité sociale. Passant, il a relevé que l'Institut arabe des droits de l'Homme n'a pas cessé d'aborder des questions d'actualité touchant à la justice transitionnelle à l'échelle arabe, même avant la révolution. Assurément, cela fait partie des missions principales de l'institut qui a à son actif un éventail d'activités, des séminaires, des sessions de formation en la matière. D'autant plus qu'il était invité à participer, en tant que membre de la commission d'équité, au processus de la justice transitionnelle réalisé au Maroc. Et partant, ajoute M. Ben Hassen, la justice transitionnelle est un tout inséparable du processus démocratique. Voire un passage obligé à la réconciliation nationale. Selon lui, l'on ne peut jamais construire le présent et prospecter l'avenir sans rompre avec un passé plongé dans la dictature et le despotisme. Et d'abonder dans le même sens, «pour y parvenir, il nous faudrait décapiter les apôtres d'un régime corrompu ayant usé de tous les moyens de répression et d'atteinte à la dignité humaine». C'est pourquoi, souligne-t-il, l'institut a tenu, depuis avril 2011, à organiser des réunions et des formations en matière de justice transitionnelle à une large échelle dont la dernière en date était à Gabès, au profit des avocats, des juges et des agents de sécurité. Tout ce marathon a été couronné par l'élaboration d'un projet de loi en la matière, dans le cadre de la coordination nationale de la justice transitionnelle qui regroupe une trentaine d'organisations. Ce projet a fait l'objet d'une conférence arabe, tenue récemment au Caire, suite à laquelle a été constitué un groupe d'experts arabes qui se penchent, actuellement, comme indiqué précédemment, sur la promotion de l'action arabe commune dans ce domaine. Intervenant sur ce plan, M. Ayachi Hammami, avocat et militant en matière de droits de l'Homme, a fait remarquer que la conception des «principes directeurs de la justice transitionnelle» permet d'éclairer l'opinion publique arabe sur ce nouveau concept, ses tenants et ses aboutissants. Et de souhaiter que l'essentiel est de l'organiser dans un contexte juridique et règlementaire. Revenons sur le rapport rédigé en trois langues (arabe, français et anglais) dont l'intitulé est « Justice transitionnelle en Tunisie : absence de stratégie et prépondérance d'improvisation», le conférencier a révélé qu'il s'apparente à un document rassembleur des connaissances fragmentées et désorganisées pour en faire une collection de tout ce qui a été réalisé en matière de justice transitionnelle. A ce propos, le Pr Wahid Ferchichi a dressé un bilan mitigé, où les données, les analyses et les témoignages recueillis au cours de la période couvrant ledit rapport ont fait croire qu'aucune stratégie n'a été réalisée à cet effet. Et que le processus de la justice transitionnelle ait été improvisé et plus qu'arbitraire. Qu'il soit relatif à l'investigation des faits et dépassements commis au lendemain de la révolution, à la recherche des vérités, au recensement des crimes et criminels, au sujet d'indemnisation et des réformes jusqu'à la question de la réconciliation, l'orateur a reproché aux décideurs politiques successifs le manque de visibilité et l'absence d'une démarche bien définie. «Ce n'était que de simples réactions limitées dans le temps», commente-t-il. «Pour toutes ces raisons, l'on est en droit d'admettre que la justice transitionnelle n'avait aucune vision, et l'on avait, de même, raison de ne pas parler d'un processus de justice transitionnelle, dans la première étape post-révolutionnaire», a-t-il, encore, critiqué. Suite aux vents libérateurs du «printemps arabe» qui avait soufflé sur la région du sud de la Méditerranée, la question de la justice transitionnelle s'impose comme tremplin à une mutation politico-socio-économique. Elle concerne toute la région arabe, notamment les pays qui ont connu des révolutions populaires tels que la Libye, le Yémen, l'Egypte et la Tunisie.