La décision a été prise hier : la rencontre de la commission de coordination et de rédaction de la Constitution, prévue pour aujourd'hui, 31 mai a été reportée. Selon nos sources, les présidents de commissions sont priés, vivement, de rendre leur rapport sur l'état d'avancement de leurs commissions respectives au plus tard le 4 juin. La réunion de cette sacro-sainte structure présidée par Mustapha Ben Jaâfar se tiendra alors la semaine prochaine, au plus tard le 8 juin. Pour une commission faisant office d'une véritable courroie de transmission, la «coordination» (tansikia) comme on aime à l'appeler, se réunira ce début juin pour la première fois, si l'on excepte sa réunion inaugurale, tenue le mois de février dernier. Cette rencontre prend toutes les allures d'un rappel à l'ordre que le président de l'ANC lance à ses constituants, pour presser le pas et la plume dans la rédaction de leurs parties respectives et dans la mise au point d'un planning pour achever les travaux. Visiblement, le rythme initial adopté, en l'occurrence trois séances au maximum par semaine pour chaque commission, a montré ses limites. Le flou artistique au sein de certaines commissions règne, quand il ne s'agit pas de retards conséquents, révélés par des indiscrétions. La conséquence redoutée : un ratage national pour le non-respect des dates solennellement annoncées par le président de l'ANC, le 10 mai. Un délai d'un an à compter du 23 octobre 2011, figurant d'ailleurs dans le décret présidentiel d'août 2011 convoquant les élections. Pour rappel, c'est au terme de la présentation du projet de loi de Finances complémentaire, que Mustapha Ben Jaâfar a donné un tour de vis à l'échéancier, déclarant, en plénière, que la date du 20 mars 2013 sera celle des prochaines élections, et celle du 23 octobre celle de l'achèvement de la rédaction de la Constitution. Des remous ont été remarqués et des contestations explicites sont relayées par les médias. Rien n'y fait, le président s'est prononcé, il y va de l'autorité de l'Etat et de la crédibilité de ses institutions. Habib Kheder : «Oui, nous allons accélérer le rythme» M. Habib Kheder, en sa double qualité de rapporteur général et de rapporteur de la Tansikia, nous confirme que chaque président de commission sera appelé à présenter un rapport résumant l'état d'avancement de son travail. Lui-même a présenté une feuille de route proposant un nouveau planning des réunions des commissions. Toutefois, la réunion de coordination prévue la semaine prochaine ne traite pas du contenu constitutionnel des rapports, précise encore le rapporteur, mais uniquement de la méthodologie de travail. Le planning organisationnel des députés sera probablement modifié, les commissions travailleront davantage, pour pouvoir respecter la date du 23 octobre, finit-il par nous expliquer. M. Habib Khedher n'a pas voulu nous en dire davantage, mais en fouillant sur Internet, nous avons pu prendre connaissance des explications qu'il a fournies à la section locale du parti Ennahdha à Gabès, mise en ligne dimanche 22 mai. Dans cette vidéo, M. Khedher apporte trois informations : – Une mouture consensuelle de l'article 1 est prête. – La commission Droits et libertés a adopté deux articles importants: le droit de la vie (ce qui ouvrirait alors la voie à une abolition de la peine de mort?) et la pénalisation de la torture. Les mauvais élèves épinglés La méthodologie nouvelle de travail annoncée précédemment par le rapporteur général, garantira au président de l'ANC et à son équipe, le pouvoir d'épingler les députés déserteurs. Selon le règlement interne, les constituants se doivent d'être présents à toutes les réunions de leurs commissions respectives, faute de quoi leur absence sera signalée sur le PV de la réunion. Or, certains présidents de commissions ont jugé utile de ne pas signaler systématiquement les absences. Nous avons appris par Karima Souid, assesseur du président en charge de la formation, de la communication, et de la relation avec les médias, que le président de l'ANC scrutera désormais les listes des absents, et appliquera en conséquence le règlement interne. Il n'est jamais trop tard pour bien faire, soit dit au passage ! Instance des élections libre et indépendante Président de la très sensible commission des instances constitutionnelles, Jamel Touir précise que la tenue des réunions sera désormais systématique. Chaque commission qui avance dans la production de son texte constitutionnel, le remet à la commission de coordination, assure-t-il. D'ailleurs à ce titre, ajoute-t-il, plein d'entrain, «dans ma commission, nous sommes en train d'arrêter les prérogatives de l'instance des élections, qui sera libre et indépendante». La commission a rédigé le texte constitutionnel relatif à cette instance, texte qui sera présenté au cours de l'imminente réunion avec la commission de coordination, informe-t-il, sûr et non moins fier. De grosses divergences : le régime politique S'il est un thème où aucun compromis ne semble se profiler à l'horizon, c'est bien celui du choix du régime politique. Tant et si bien qu'au sein même de la Troïka, les écarts sont significatifs ; quand le CPR et Ettakattol optent pour un régime mixte, Ennahdha a choisi de défendre un régime parlementaire. Dans les rangs de l'opposition, le PDP ou Joumhouri par la voix de Maya Jribi, défendent le régime présidentiel. Selon la secrétaire générale du Joumhouri, les membres de la Constituante sont appelés à lancer un débat de fond, conseille-t-elle, pour trouver un consensus autour de cette question décisive. «Une évidence, ajoute-t-elle, les Tunisiens ont besoin d'élire au moins une fois leur président par suffrage universel. Les politiques doivent prendre en considération cette volonté, tranche-t-elle. D'un autre côté, nous avons besoin de répartir les pouvoirs entre les différentes institutions de l'Etat pour trouver un équilibre étudié. L'hégémonie présidentielle n'a plus sa place chez nous», conclu-t-elle. Autre grosse divergence dans la Troïka : le Conseil supérieur de l'Islam Ce conseil de l'Islam appelé encore curieusement de la Fatwa, existe en réalité, mais le débat tourne autour de sa constitutionnalisation et de l'étendue de ses attributions. Karima Souid, députée Ettakattol, relève: «Je reviens sur Ameur Arayadh et sa déclaration, dit-elle, quand il dit que le conseil supérieur de l'islam qu'il souhaite proposer ne sera pas au-dessus du législateur pourquoi alors veulent-ils le constitutionnaliser? A partir du moment où on constitutionnalise une instance, c'est qu'on lui attribue des pouvoirs. Cela pose un problème dans l'inférence de la religion dans la politique». M. Habib Kheder, député Ennahdha, de son côté, confirme que le Conseil supérieur de l'Islam existe déjà, mais que le débat tourne autour de sa constitutionnalisation. A nous de savoir maintenant, s'il est constitutionnalisé, ce conseil serait-il habilité à valider les lois et à rejeter celles qui seraient selon lui, non conformes à la charia ? Telle est la question que beaucoup se posent, car la charia est, comme nous le savons, interprétée différemment selon les lectures qu'on en fait. Il faudra donc qu'on nous explique. Imed Hammami, président des commissions des collectivités locales et régionales, député Ennahdha, nous déclare que «l'institution du mufti est suffisante et que nous n'avons pas besoin de conseil supérieur de l'Islam». Sinon, il trouve pour sa part, que le maintien de l'article premier bénéficie d'un large consensus et que c'est un acquis important. Pour ce qui est du choix du régime parlementaire, M. Hammami défend, à l'instar de sa famille politique, où visiblement un mot d'ordre a été donné, le régime parlementaire qui, selon lui, représente au mieux la volonté du peuple. La relation entre l'Etat et la religion et la mise en œuvre de l'article 1, fait encore l'objet de toutes les passions au sein de la Troïka; que dire alors des autres groupes parlementaires. Toujours, selon la constituante Souid: «Tous les contre-pouvoirs à cet article seront proposés pour assurer la séparation marquée du politique et du religieux». Pour l'une des ténors de l'opposition, Maya Jribi, l'Etat est tenu de protéger la religion, et de défendre le droit de culte et de liberté de conscience. «Je suis pour une relation sereine entre l'Etat et la religion, il n'y a pas de coupure. Et c'est le devoir de l'Etat de préserver les lieux de culte de la surenchère, de les entretenir, d'encadrer l'enseignement religieux dans les programmes scolaires, de payer les imams et non pas du tout les partis». Au gré de notre enquête constituante, nous avons eu l'inquiétante surprise d'apprendre que certains élus n'étaient pas informés de la réunion de la commission de coordination. Une fois le malaise passé, ce fut une occasion pour eux de critiquer vertement le fonctionnement de l'ANC, en requérant toutefois l'anonymat. In fine, il est des divergences constructives, ce serait le cas. C'est ainsi que les démocraties se construisent. Mais, pourvu que les débats ne s'éternisent pas, pourvu que les choix faits assureront au pays, développement, sécurité, prospérité et harmonie des Tunisiens entre eux, malgré leur trop grande diversité.