Par Taha BELKHODJA La Tunisie vit aujourd'hui une période très critique et difficile, et les citoyens ne voient guère leur situation s'améliorer. D'après des sondages récents, 42 % des Tunisiens regrettent l'ère Ben Ali et plus des 2/3 sont insatisfaits de la gouvernance du pays. C'est très déplorable d'en arriver jusque-là. Il y a un manque de confiance manifeste qui est en train de se développer de jour en jour, les grèves, les sit-in et les agressions sont devenus de plus en plus fréquents. L'histoire a toujours servi pour tirer les leçons et si on fait le bilan post-révolution aujourd'hui, on ne retient que la liberté d'expression qui a été acquise au prix du sang de nos concitoyens et c'est irréversible malgré les tendances restrictives de liberté de presse que nous sommes en train de vivre actuellement. Les plus grands bénéficiaires de cette révolution, ou plutôt ce soulèvement, ce sont les anciens détenus politiques qui ont retrouvé leur liberté ou regagné le pays et même certains ont atteint leur objectif et se sont investis au pouvoir. En revanche, notre pays a enregistré après la révolution une situation de non-respect de la loi et une anarchie totale sans précédent, immobilisant toute l'économie du pays et le résultat est malheureusement là : - la corruption, la drogue, le blanchiment d'argent, le taux de criminalité et celui de l'inflation ont augmenté, - le chômage a plus que doublé et un phénomène de réticence au travail est en hausse, - le taux de croissance, l'épargne publique et la couverture en devises ont baissé, - les conflits sociaux ont été déclenchés d'une façon irresponsable et opportuniste sans merci, - les grèves et les sit-in ont surgi d'une manière incontrôlable, aboutissant à la gouvernance de la rue, - le secteur touristique et celui de l'artisanat sont presque paralysés, - près de 200 entreprises étrangères ont délocalisé à cause du climat social préjudiciable et l'effet domino se poursuit, - l'indicateur de productivité est au plus bas niveau, 1.000 milliards de pertes, rien que dans le secteur du phosphate, - baisse de deux crans de la note classant notre pays dans la catégorie des emprunteurs spéculatifs, ce qui nuit à notre crédibilité, - et la désertion des administrations publiques, les responsables n'ont plus aucune autorité, le vide se creuse. Certes, un triste bilan qui inquiète les Tunisiens après presque une année et demie de la révolution, ces difficultés socioéconomiques, d'autres pays les ont connues et ils les ont soigneusement résolues en comptant sur eux-mêmes et leurs propres moyens. Pour cela, il faut conjuguer les efforts de tous les Tunisiens et se mobiliser en faisant preuve de patriotisme et de bon sens. Un gouvernement provisoire, selon les règles internationales d'usage, qu'il soit légitime ou pas, ne peut établir une quelconque stratégie à terme, ni prendre une décision qui engage le pouvoir à venir. Il ne peut intervenir donc que sur la gestion des affaires courantes principalement ou celles qui revêtent un caractère d'urgence telles que les blessés de la révolution, la survie des familles nécessiteuses, les affaires d'injustice urgentes et de la prévention en vue de la stabilité du pays et de sa sécurité. Il faut reconnaître que la situation du pays est assez contraignante quand on sait que la Troïka au pouvoir, bien qu'elle possède une majorité, celle-ci n'est que relative, et surtout non représentative puisqu'elle ne jouit même pas des 28 % des voix, si on considère la totalité des électeurs tunisiens, ce faible taux lui donne donc une légitimité très fragile et limitée dans le temps et l'espace qu'il ne faut jamais oublier. Ainsi donc, le gouvernement provisoire est en très mauvaise posture pour céder les biens de l'Etat ou prendre des décisions telles que la semaine des 5 jours, nommer ou révoquer les hauts fonctionnaires de l'Etat et surtout récompenser les anciens détenus politiques. Cela étant, il faut faire preuve de sagesse messieurs les gouvernants, sachant que vous-mêmes avez reproché au gouvernement de transition Essebsi d'avoir accordé l'indemnité spécifique aux fonctionnaires de l'Etat et vous avez raison, conscients que ce gouvernement a outrepassé ses prérogatives, et afin d'éviter toute récidive, il faut admettre que ce type de décisions est l'affaire du gouvernement définitif sachant qu'elles ne relèvent d'aucune urgence. Compte tenu de la situation de crise économique qui prévaut dans le pays, il est plus judicieux et raisonnable d'opter pour la diminution des dépenses de l'Etat plutôt que l'augmentation des recettes telles que l'impôt et le carburant qui ne peuvent que nuire au pouvoir d'achat du citoyen et handicaper davantage les chômeurs qui ne disposent d'aucun revenu. Par ailleurs, il serait très raisonnable d'augmenter immédiatement le prix de la baguette à 200 millimes puisque c'est ce qu'on paye régulièrement à défaut de monnaie, 10 millimes ce n'est rien à l'échelle individuelle, mais c'est plus que 5 milliards par an à conserver dans la Caisse de compensation, et je dirai même de songer à la fixer à 240 millimes, soit le prix du gros pain avec l'obligation de la vente des pains par moitié pour éviter le gaspillage, 25 milliards pour la Caisse de compensation ne seraient pas de regret pour la création d'emplois. Comme il y a des dépenses inutiles qu'on peut éviter, on voit dans les chantiers de route la plantation d'arbustes dans les terre-pleins centraux en béton alors que ceci est interdit selon les normes internationales, du moment que l'arrosage et l'entretien exposent les usagers de la route au danger, tout comme les bornes kilométriques à l'intérieur des villes, encombrant les trottoirs, alors qu'il suffit d'insérer juste les distances sur les panneaux de direction dans les croisements, ou encore le remplacement des panneaux de signalisation en bon état et il y a bien d'autres gaspillages qu'on peut éviter, ce sont de petites sommes, quand on voit le cas d'espèce, mais comme pour les 10 millimes par baguette, c'est 5 milliards par an, la récupération de quelques milliards par ci et par là ne sera pas de refus en cette période cruciale de notre pays. Dans le cadre d'une politique d'austérité, les solutions existent, on a tous vu le nouveau Président français réduire le salaire de ses ministres de 30%, nous pouvons nous autres faire pareil et procéder dans le même ordre d'idées à une limitation des portefeuilles ministériels et par conséquent certains ministères et secrétariats d'Etat sont à supprimer, indépendamment des personnages, à savoir : 1- Le secrétariat d'Etat auprès du ministre des Affaires sociales chargé de l'Immigration, ce secrétariat d'Etat n'a aucun sens, du moment que normalement il est censé s'occuper des immigrés, soit les étrangers résidents en Tunisie, ce qui n'est pas ce qu'on cible. Les Tunisiens résidents à l'étranger sont des immigrés par rapport aux pays d'accueil et c'est donc l'affaire des ambassades tunisiennes de s'en occuper, un double emploi, puisque ceci est du ressort de l'Office des travailleurs tunisiens à l'étranger. 2- Le secrétariat d'Etat auprès du ministre du Développement régional et de la Planification, ce ministère doit être réformé. 3- Les secrétariats d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, soit ceux : - Chargé des affaires africaines et arabes - Chargé des affaires de l'Amérique et de l'Asie - et chargé des affaires européennes Tous ces secrétaires d'Etat ne sont pas nécessaires en ce moment, leur travail peut être réalisé par un ministre des Affaires étrangères compétent, surtout que ce gouvernement n'a pas de stratégie quelconque à faire entreprendre à terme. D'ailleurs, on a bien vu le ministre se déplacer lui-même en Chine et ailleurs. En revanche, nos ambassadeurs, en tant que relais, sont très bien placés pour opérer à l'étranger et ainsi ce ministère serait en mesure d'assurer aussi le département de la coopération internationale, ce qui revient à moindre coût au contribuable. 4- Le secrétariat d'Etat auprès du ministre de l'Agriculture, est sans grand intérêt pour le moment, on peut s'en passer. 5- Le secrétariat d'Etat auprès du ministre de la Jeunesse et du Sport, le ministre peut bien s'en charger tout seul actuellement. 6- Le secrétariat d'Etat auprès du ministre des Finances, est aussi sans grand intérêt pour le moment. 7- Le ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, cela doit relever des institutions indépendantes non gouvernementales, les ONG comme partout dans le monde, la Tunisie ne doit pas faire exception surtout que nous disposons de Tunisiens et d'associations de haut niveau. Il ne s'agit pas seulement de volonté politique du gouvernement, il faut faire preuve d'impartialité réelle et donc une indépendance totale : c'est l'affaire des ONG, à chacun son rôle messieurs. Le Conseil de l'ordre national des avocats vient de présenter un projet de loi relatif à la justice transitionnelle, celui-ci en tant que composante de la société civile peut apporter une vision du processus évitant la grande polémique que suscite ce dossier et tout soupçon d'abus de pouvoir éventuel. 8- Le ministère de l'Enseignement supérieur, désormais tout ce qui concerne l'enseignement, du primaire au supérieur, doit être sous l'égide d'un même ministère, celui de l'Education nationale et de la Recherche, pour des raisons de coordination optimale entre les différentes étapes de l'enseignement. L'histoire doit nous servir pour construire un meilleur avenir pour nos enfants, comme désormais la création d'un Conseil supérieur de l'éducation et de la culture qui s'impose. 9- Le ministère de l'Investissement et de la Coopération internationale, désormais cette dernière relève du ministère des Affaires étrangères. Quant à l'investissement, nous avons des institutions spécialisées suffisamment qualifiées dans le domaine et donc ce ministère est de trop, il faut éviter le double emploi et les pertes d'argent inutiles. 10- Le ministère du Tourisme, ce département doit se joindre à celui des transports comme partout dans le monde. 11- Le ministère des Affaires sociales, ce département doit se joindre à celui de l'emploi et de la formation professionnelle. 12- Le ministère des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières, ceux-ci ont un rapport étroit avec les instances judiciaires, ce département doit être annexé au ministère de la Justice. Dans cette situation que vit notre pays, il y a des priorités à respecter impérativement. Il est de l'intérêt de tout contribuable tunisien de faire l'économie des salaires de ces 8 secrétaires d'Etat et 6 ministres et autant au moins, de Conseillers et ministre sans portefeuille dont on peut se passer, soit presque une centaine de millions par mois, de quoi couvrir le salaire de pas moins de 300 chômeurs, ce qui n'est pas négligeable en cette période précaire. A titre indicatif par exemple, la Chine qui compte plus que 1,300 milliard d'habitants, n'a que 36 membres au gouvernement alors que nous en avons plus du double (81), la Suisse en a seulement 7, donc il y a bien des choses à revoir et mettre de l'ordre chez nous ! Quant aux constituants, au lieu de leur augmenter le salaire, ils auraient mieux fait de fournir plus d'efforts et terminer rapidement la Constitution. Il ne s'agit pas de réinventer la roue, tous les articles existent dans des dizaines de constitutions de par le monde, il suffit de faire une sélection de ce qui convient le mieux à la Tunisie, et ainsi on finit avec les charges des constituants qui reviennent très cher au contribuable. Environ un milliard par mois de quoi faire travailler 3.000 chômeurs, donc comme vous voyez messieurs chaque jour compte, occupez-vous de la Constitution, l'objet principal de votre présence à l'ANC. Dieu merci, vous en êtes bien capables, vous l'avez déjà fait auparavant, la petite Constitution à 26 articles vous a pris pas plus que 5 jours et le règlement intérieur à 141 articles une vingtaine de jours, la Constitution ne devrait pas prendre plus, il y a un phénomène d'entropie qu'il faut régler. Comme après la révolution et dans le cadre d'un développement durable qui répond aux besoins du présent, sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs, la deuxième République doit apporter des changements effectifs, il serait plus judicieux et raisonnable d'élargir au prochain gouvernement ou peut-être, suite à un remaniement ministériel, le champ d'action de certains ministères en s'adaptant au mieux à nos besoins en tenant compte de la mondialisation: Le ministère de l'Intérieur devient le ministère de la Sécurité publique et des collectivités locales car, celui-ci n'a rien fait pour les régions de l'intérieur et il vaut mieux qu'il s'occupe de la sécurité et veille à l'ordre public en appliquant la loi, une condition sine qua non pour relancer l'économie du pays. Le ministère des Finances devient le ministère du Plan et des Finances, les finances intelligentes doivent être planifiées suffisamment à l'avance, ainsi la planification et les finances ne peuvent pas être dissociées. Le ministère de la Formation professionnelle et de l'Emploi devient le ministère de la Formation professionnelle, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, c'est clair le travail et la sécurité des travailleurs sont inséparable. Le ministère des Affaires étrangères devient le ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale. La Tunisie dispose d'un potentiel important de fonctionnaires compétents en mission à l'étranger, il est inconcevable de ne pas charger nos ambassadeurs de la coopération internationale comme dans plusieurs pays. Aujourd'hui, plus que jamais, nos Ambassadeurs doivent s'investir corps et âme, ils ont désormais des comptes à rendre aux contribuables tunisiens. Finis les ambassadeurs qui «rendent visite» 2 ou 3 heures à leur bureau et assistent aux fêtes nationales pour un cocktail, il y a même celui qui a fait une exposition de tableaux de peinture. Plus jamais ça, je suggère que tous nos ambassadeurs prennent contact immédiatement avec l'Utica, l'Utap et le ministère de l'Emploi pour promouvoir nos produits et services à l'étranger, sachant que la Tunisie dispose d'un potentiel de savoir-faire reconnu dans le monde entier. Le travail des ambassadeurs sera jugé suivant leurs compétences par un rapport d'activité annuel. Il est arrivé à une délégation d'ingénieur-conseil, en congrès dans un pays africain, de demander audience à l'ambassadeur, celui-ci a malheureusement refusé pour question d'horaire, Son Excellence ne travaille pas après l'heure. Désormais l'ambassadeur, qui se comporte de la sorte, doit être immédiatement rappelé au pays. Ces agissements irresponsables doivent faire leur deuil aujourd'hui. Le ministère des Affaires religieuses devient le ministère des Affaires religieuses et de la Solidarité, je pense que ce ministère est le plus apte à gérer sans bavure j'espère les fonds de solidarité, on peut même profiter pour la collecte de la zaket. Le ministère de l'Education et celui de l'Enseignement supérieur se regroupent en un seul ministère, celui de l'éducation nationale et de la Recherche avec trois directions générales chargées de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la recherche (au sens large du mot non limité à la science seulement), qui doivent s'organiser et travailler en parfaite symbiose dans l'intérêt des élèves et leur formation selon la demande du marché de l'emploi. Le ministère de la Culture devient le ministère de la Culture, de la Communication et de la vie associative, on ne peut pas parler aujourd'hui de démocratie sans la participation effective et réelle de la société civile, on doit s'en occuper donc sérieusement et encourager les associations dans leur activité. Comme la communication est fondamentale entre les individus, c'est un indice de civisme et de liberté incontournable dans une démocratie. L'absence ou même le déficit de communication ne peut que générer les fluctuations d'opinion, les rumeurs ou les fausses informations. Le ministère de la Femme et de la Famille devient le ministère de la Femme, de la Famille et de la Cohésion sociale. Nous enregistrons de plus en plus de rupture sociale de nos jours. La cohésion sociale est la structure essentielle pour faire évoluer notre société et fonder une nation, il faut s'en occuper sérieusement et la soutenir. Le ministère de l'Environnement devient le ministère de l'Ecologie et des Ressources naturelles. L'écologie répond mieux à ce que nous recherchons, soit la protection de l'environnement en exploitant rationnellement nos ressources naturelles. Le ministère des Transports devient le ministère des Transports, des Infrastructures et du Tourisme. Vu le positionnement géostratégique de la Tunisie et son offre de services, il faut développer une stratégie nationale de compétitivité logistique et donc tout un réseau de plateformes spécialisées qui dépendra de nos infrastructures potentielles. Je suggère qu'on crée une Agence nationale du développement de la compétitivité logistique en vue de développer les compétences à travers un plan national de formation des acteurs du secteur de la logistique. Le ministère de la Justice devient le ministère de la Justice et des Domaines de l'Etat, ainsi les biens de l'Etat seront mieux gardés et gérés dans ce département, comme c'était auparavant. Le ministère de la Santé devient le ministère de la Santé et des Personnes handicapées, ce département doit désormais prendre soin des handicapés dont les blessés de la révolution, on assiste tous avec amertume ces temps-ci au vécu de ces pauvres blessés, ceci est inadmissible dans un pays comme la Tunisie, où beaucoup d'étrangers viennent se faire soigner. Le ministère de l'Equipement devient le ministère de la Construction et du Développement urbain, il faut changer le terme équipement qui a plutôt un sens d'installation de matériel. La construction d'habitat et de bâtiment civil est un régulateur socioéconomique très important et comme tout pays qui se respecte, la Tunisie doit développer intelligemment l'urbanisme. Le ministre du Développement régional et de la Planification devient le vice-Premier ministre, ministre du Développement régional et de l'Aménagement du territoire. Il faut mettre en valeur ce ministère et lui donner beaucoup plus d'autorité et une marge de manœuvre plus large et mieux appropriée pour l'aménagement du territoire, c'est ça le changement opportun postrévolutionnaire qu'il faut apporter.