Ceux qui l'ont connu vous le diront : il était à nul autre pareil. Aussi, l'annonce de la parution de ce livre auquel il avait consacré du temps et du plaisir et qu'il qualifiait, modestement, de «Feuilles d'automne» et de «simple recueil d'anecdotes dans les coulisses du pouvoir», est-elle une heureuse surprise, dans la mesure où on avait fini par ne plus l'espérer. Il est vrai qu'il faut donner du temps au temps, et qu'on ne publie pas à la légère la prose, les pensées, l'humour et la sagacité d'un Hédi Mabrouk. Il fallait, en effet, accorder à la présentation de cet ouvrage le soin raffiné, l'attention ciblée, la pertinence affûtée qu'il avait lui-même accordés à ses écrits. Aussi, l'éditeur, les amis et la famille de l'auteur eurent-ils fort à faire pour que le produit final respecte l'esprit et la lettre de ces mémoires atypiques. Au texte initial, on ajouta quelques réflexions et mots d'esprit qui avaient marqué son entourage, un hommage amical, une biographie impressionnante, et un «itinéraire photographique» dont pas une photo, pas une légende ne fut choisie au hasard. Toutes représentent un moment clé, recèlent un élément important, révèlent une complicité, trahissent un non-dit, suscitent une interrogation. Mais qui était Hédi Mabrouk, pour ceux qui ne l'ont pas connu ? Vaste question. Chedly Ayari, qui lui consacre un chaleureux hommage, essaie d'y répondre: «Si Hédi Mabrouk… Par quel bout le prendre ? Déjà de son vivant, c'était une sacrée question à laquelle nombre de ses amis avaient du mal à répondre. Mais Si Hédi une fois parti, la tâche est plus difficile encore. Qui, du compagnon des premiers bâtisseurs du nouvel Etat tunisien souverain, puis du gouverneur, du chef d'entreprise, de l'ambassadeur, du ministre, enfin du retraité plein d'allant et de vie, faudrait-il privilégier dans notre remémoration de cette complexe personnalité… Mais pourquoi devrions-nous privilégier quoi que ce soit, après tout ? Si Hédi était tout cela à la fois, mais à travers un syncrétisme dont lui seul savait orchestrer les dosages et valoriser les essences». Ses enfants à qui, il l'avait révélé au cours d'une interview, il s'en remettait pour publier ce livre, se sont tous mobilisés pour répondre à ce souhait. Son fils, Sami, qui a travaillé de longs mois pour que la forme ne trahisse pas le fond. Son petit fils, Mahdi, qui avait sonné le branle-bas familial au lendemain du 14 janvier pour que cela se fasse, ici et maintenant, et qui travaille à présent à réaliser une page sur wikipédia; ses filles, attentives, émues de retrouver dans le livre, cette manière si personnelle qu'il avait de raconter, de manière humoristique, la grande Histoire, de restituer ce qu'il aimait à appeler «la comédie humaine», ce ton léger adopté pour parler de choses graves, la dérision, et la poésie qu'il savait si bien mêler. Plus personne, aujourd'hui, n'écrit comme Si Hédi Mabrouk, et le plaisir de lire cette langue parfaite, ce français qui était bien ce «butin de guerre» dont parlait Kateb Yacine, et que certains nous reprochent, aujourd'hui, de ne pas vouloir abandonner, est un moment rare. Aussi, ne vous en dirai-je pas plus, si ce n'est que le livre sera présenté à Beït El Hikma ce vendredi, et que ce serait dommage de ne pas y être.