Un homme, la quarantaine, habillé en survêtement, est au fond de la salle, en train de s'échauffer, tandis que les spectateurs suivent attentivement le spectacle français de David Wampach intitulé «Batterie». Ce dernier ondule son ventre et se laisse tomber sur le tapis glissant de la scène. Son tee-shirt en mousse à raser, fond, tandis que celui du batteur demeure intact…Le duo ne partage que le son du cuivre. L'un joue à la batterie de plus en plus fort, et l'autre se laisse aller aux pulsations de son corps jusqu'à saturation de la musique… Le danseur en survêtement enchaîne, en traversant la salle. Le temps que les techniciens préparent la scène pour sa pièce «Quai du sujet», le danseur de la compagnie Foofwa d'Immobilité parle au public sur un ton plein d'humour. Et cela continue. Le spectacle a tout l'air d'un stand up comédie. Le danseur est conscient qu'il est dans un théâtre. Il exploite tout l'espace et cherche, par les mots, cet autre espace de l'extraordinaire. Reprenant le Prince de Ligne, il dit qu'il faut faire les choses sérieuses légèrement et les choses légères sérieusement. Il parle également de fouetter l'esprit du spectateur. Il ne croit pas si bien dire. Son spectacle, rarement ponctué par la danse, nous a réellement fouettés. Plusieurs ont quitté la salle, frustrés. La danse aurait-elle cessé de danser ? Google ! Au secours ! Il vaut mieux comprendre au lieu de juger. En choisissant le rire comme thème de son actuelle édition, les rencontres chorégraphiques de Carthage tombent en plein débat sur l'acte même de danser, sa source et sa justification. Wampach, Yann Aubert (au Quatrième Art lundi dernier) et la Compagnie Alias (au Théâtre municipal, le même soir) font certainement partie de ce nouveau mouvement de la «Non danse». «Il s'agit d'un mouvement chorégraphique de danse contemporaine né au milieu des années 90, principalement en France, et revendiquant une création scénique transdisciplinaire, s'écartant du mouvement dansé traditionnel, pour intégrer, voire substituer les autres arts de la scène (théâtre, vidéo, lecture, arts plastiques, musique) à la danse qui est plus ou moins mise en retrait.(1)» «On peut aisément reconnaître dans cette attitude radicale de la Non danse, un minimalisme déjà observé dans d'autres domaines artistiques à des moments essentiels de la recherche, ou encore une façon de déjouer, de retourner, les attentes et les catégories convenues.(2) On ne conçoit plus le corps comme un élément de nature opposé à l'esprit mais plutôt comme manifestation de culture. On ne conçoit plus le corps comme un outil à maîtriser au service des projets de l'esprit. On ne conçoit plus l'être comme une forteresse dont le premier déterminent serait sa coupure avec son environnement. De même qu'on ne conçoit plus l'artiste comme un solitaire affrontant le monde au travers d'œuvres closes et simplement remarquables. On ne danse plus. (1) Wikipédia (2) Danse contemporaine-Pour une chorégraphie des regards, Centre Pompidou 2004