• Les analyses balistiques ne sont pas conformes à l'esprit de l'enquête, selon des avocats de la défense • Un jugement historique par excellence Au-delà du jugement rendu dans l'affaire des martyrs de Thala, Kasserine, Tajerouine et des peines prononcées à l'encontre de certains accusés, le procès que le Tribunal militaire de première instance du Kef a traité tout au long de plus de six mois, c'est le caractère précipité du verdict que les avocats reprochent à la cour. A preuve, ce sont de nouvelles enquêtes qui viennent d'être diligentées dans cette affaire à l'encontre de certains agents soupçonnés d'avoir tiré sur les victimes. Paradoxe ou ironie du sort, l'une de ces enquêtes est dirigée contre un brigadier de la police d'intervention qui a été entendu comme témoin dans cette affaire. Aujourd'hui, il est soupçonné d'avoir tiré sur la foule et tué deux personnes. L'un des avocats de la défense a qualifié ce témoignage d'illégal et même de honteux. Autre bémol, les vrais coupables, c'est-à-dire ceux qui ont tué les 22 victimes, n'ont pas été encore identifiés et c'est pourquoi la plupart des accusés ont comparu pour participation à un meurtre et à une tentative de meurtre, sans pour autant qu'on sache qui a réellement tué les martyrs. Les attendus de la justice n'ont reposé que sur le point relatif à la complicité, ce qui, aux yeux de certains avocats, constitue un manquement aux dispositions du code pénal, dans la mesure encore où l'ouverture de l'enquête n'a démarré qu'après plus d'un mois des faits, soit à la fin de février, alors que les événements sont survenus au début de janvier. Dans sa plaidoirie, Me Walid Laâfia a même indiqué que les analyses balistiques des armes à feu utilisées lors des meurtres ne correspondent pas aux armes utilisées par les accusés, notamment en ce qui concerne, selon lui, l'arme utilisée pour tuer la dernière victime qui serait morte d'une balle de calibre 7,62 mm, alors que l'arme utilisée par le principal accusé était une mitrailleuse de calibre 5,56 mm. D'un autre côté, la justice s'est basée sur les responsabilités individuelles qui incombaient aux accusés et non sur leur participation sur terrain aux événements sanglants, alors qu'en principe toute complicité suppose, selon le code pénal, la présence d'un acteur principal, ce qui n'est pas le cas dans cette affaire, notamment pour l'ancien ministre de l'Intérieur, Rafik Bel Haj Kacem, Adel Tiouiri, ancien directeur général de la Sûreté nationale, Lotfi Zouaoui, directeur de la sécurité publique. Ils sont accusés de ne pas avoir donné des ordres de ne pas tirer sur la foule; donc de complicité. Mais en dépit des charges, au demeurant peu fiables pour la défense, contre certains accusés, il s'agit, comme l'a expliqué Me Abderraouf Ayadi lors d'une de ses interventions, d'un procès politique par excellence, réaffirmant que la Tunisie a vécu pendant 60 ans sous la terreur qui permettait aux coupables du régime de fuir la justice et d'éviter toute sanction, en maintenant en place le régime et l'appareil de l'Etat, d'autant que la justice n'était nullement indépendante et qu'elle travaillait sous les ordres, ce qui nécessite, d'après lui, un traitement rapide des lacunes morales à ce niveau. Dans la foulée, le verdict est tombé à un moment où les structures judiciaires sont en phase de gestation. Et il faut le reconnaître, indépendamment de l'effort fourni par la cour qui a effectué un travail laborieux qui se résume dans les 1.061 pages du procès, le président a fait remarquer dans sa lecture du verdict que la culpabilité des accusés est prouvée, notamment pour ceux qui ont été condamnés à diverses peines de prison. Il s'est aussi excusé d'avance pour toute éventualité d'erreur car, a-t-il dit, elle est humaine, précisant toutefois que les condamnés ont désormais la possibilité d'interjeter appel, contrairement à l'ancien régime où les jugements rendus par le tribunal militaire étaient définitifs et irréversibles. La question que tout le monde se pose est la suivante : est-on parvenu à la vérité ? Bien difficile de l'affirmer ou de l'infirmer. L'histoire s'en souviendra cependant qu'il s'agit d'un procès historique à tous points de vue.