• La prison à vie pour Ben Ali et de lourdes peines pour ses principaux lieutenants • Grande colère chez les familles des victimes qui protestent contre la clémence en faveur de certains accusés • Des avocats dénoncent un procès politique avec des preuves très faibles, dirigé contre un régime et ses organes et entendent interjeter appel. D'autres se disent, au contraire, satisfaits du verdict Le Tribunal militaire de première instance du Kef a rendu, avant-hier soir, son verdict dans l'affaire des martyrs de Thala, Kasserine, Tajerouine et Kairouan, après plus de 15 jours de délibérations, une affaire qui a accaparé l'opinion publique pendant plus de six mois avec une dizaine d'audiences publiques dont celle des plaidoiries qui aura duré près de dix jours. Au-delà des jugements prononcés à l'encontre de ceux qui ont été reconnus coupables, c'est le procès lui-même qui divise l'opinion publique et même les juristes dont certains estiment qu'il s'agit tout simplement du procès politique d'un régime qui était en place et non d'un procès de droit commun. Avant même que le verdict ne soit prononcé, le président du tribunal, Chokri Mejri, a tenu à souligner qu'il s'agissait pourtant d'un procès purement juridique avec tous les aspects que cela nécessite, niant catégoriquement toute idée nourrie quant à la possibilité d'avoir reçu une quelconque instruction, d'où qu'elle vienne, au sujet de cette affaire qui, il faut le reconnaître, a bien provoqué des remous au sein de la classe politique et même de l'appareil judiciaire, notamment chez les avocats de la défense qui ont qualifié ce procès de politique. Si Ben Ali a écopé de la prison à vie pour complicité de meurtre et tentative de meurtre avec préméditation, ses principaux lieutenants ont été aussi reconnus coupables pour les mêmes griefs. L'ancien ministre de l'Intérieur, Rafik Belhaj Kacem, a été condamné à 12 ans de prison, alors que ses bras droits Adel Touiri, ancien directeur général de la Sûreté nationale, Lotfi Zouaoui, directeur de la Sûreté publique, Jalel Boudriga, directeur général des brigades d'intervention, Khaled Ben Saïd, ancien directeur au sein de la direction générale de lutte contre le terrorisme, ayant dirigé les événements de Kasserine, et Youssef Abdelaziz, ancien général, qui était en place lors des événements sanglants de Thala, ont tous été condamnés à 10 ans de prison. A cela s'ajoutent deux peines de huit ans prononcées à l'encontre des deux officiers supérieurs Béchir Bettibi et Mohamed El Moujahed Benhoula, contre 15 ans pour l'ancien chef de poste de la cité Ezzouhour à Kasserine. Mais ce qui marque ce procès, ce sont les non-lieux prononcés au profit de Ali Seriati, ancien directeur de la sécurité présidentielle, Ahmed Friaâ, ancien ministre de l'Intérieur, Moncef Laâjimi, colonel en poste après les événements sanglants de Thala, ainsi que trois autres officiers, en l'occurrence Khaled Marzouki, Ouail Mellouli, Noomane Ayeb, Moncef Krifa (général dans les brigades d'ordre public), Houcine Zitoun, chef de secteur à la police, Ayachi Ben Souissia (officier supérieur). Ils ont tous été acquittés pour insuffisance de preuves et manque de charges. Dans la foulée, le verdict a provoqué un tollé général chez les familles des victimes qui ont crié au scandale, estimant que les jugements ont été trop cléments pour de nombreux accusés, notamment pour certains ayant été acquittés. D'ailleurs, le chaos a aussitôt régné au tribunal à l'annonce du verdict et des scènes de pagaille ont éclaté dans le hall principal de l'édifice judiciaire. Fort heureusement, la sécurité était renforcée et la situation a été maîtrisée rapidement. La cour a aussi prononcé des jugements relatifs à la réparation du préjudice moral, indiquant par la voix de son président que les avocats de la partie civile ont choisi d'intenter des procès indépendants pour la réparation matérielle. Me Sami Bergaoui, avocat de la défense (Moncef Laâjimi et Khaled Marzouki), a exprimé sa satisfaction pour le verdict rendu dans cette affaire, estimant que justice a été rendue. De son côté, Me Mohamed Ben Béchir Homrani a jugé le procès des martyrs de Thala, Kasserine, Tajerouine et Kairouan équitable, se déclarant convaincu que la justice a fait son travail dans l'impartialité la plus totale même si, pour lui, le verdict ne plaît pas à certaines parties qui trouvent que les sanctions n'ont pas été sévères et qu'il fallait des peines plus lourdes. Cela dit, un avocat de la partie civile ayant requis l'anonymat a déclaré que la justice n'a pas fait son travail, surtout que de nouvelles enquêtes ont été ouvertes et qu'elles peuvent peser lourd dans cette affaire délicate, car il est impossible de rejuger une personne qui a été reconnue non coupable, a-t-il ajouté, même s'il s'avère plus tard qu'elle est coupable.