Par Abdelhamid Gmati Ceux qui attendaient des précisions sur les prérogatives du chef de l'Etat, particulièrement concernant l'extradition de l'ex-Premier ministre libyen, ont bien été déçus, n'ayant pas reçu de réponse adéquate à leurs interrogations. Il y a bien eu deux longues séances de débats à l'Assemblée constituante, seule structure légitime à statuer sur cette question, mais on y a essentiellement discuté de l'extradition elle-même. On s'interroge sur l'opportunité de ces débats, l'extradition ayant été décidée et exécutée. Le chef du gouvernement a expliqué sa décision, insistant sur les prérogatives que lui accorde l'organisation des pouvoirs, ainsi que sur son droit exclusif à signer des décrets. Il a même mis au défi, sur un ton inquisiteur, les constituants de le contredire. Il aurait suffi, pourtant, de lui rappeler, comme l'a fait du reste un constituant, l'article 324 du code de procédure pénale (toujours en vigueur), qui stipule, certes, que la décision d'extradition revient au gouvernement, mais qu'il est impératif que le chef de l'Etat signe le document d'extradition. Ce qui veut dire que le gouvernement n'a pas respecté la loi tunisienne. Et dire que M. Jebali a martelé qu'il « fallait respecter les lois ». Les débats ont révélé les clivages existant entre les membres de la Troïka au pouvoir et les opposants, les uns minimisant et banalisant les faits, allant jusqu'à (les nahdhaouis) présenter des excuses au président de la République pour ne l'avoir pas informé, les autres estimant que le gouvernement a commis une erreur grave portant préjudice au pays. Certains constituants d'Ennahdha ont été jusqu'à prétendre que débattre de cette extradition était une perte de temps et d'argent et qu'on aurait dû parler d'autres problèmes. Ces messieurs-dames, en barbe et en voile, estiment donc que préciser les pouvoirs de l'exécutif, s'intéresser aux problèmes sérieux qui portent préjudice au pays est «une perte de temps». La Constituante n'est-elle donc là que pour augmenter les salaires et les primes des constituants ? N'est-ce pas lui porter préjudice, la diminuer et la «clochardiser» ? On signalera ici deux faits « perturbants » : le chef du gouvernement a lu un bout de papier pour annoncer que le président Marzouki a «retiré sa requête contre le gouvernement» ; il a rapidement été contredit par deux constituants et par le président de l'Assemblée, qui a affirmé n'avoir rien reçu de semblable. Le chef du gouvernement a aussi affirmé que Baghdadi Mahmoudi était bien traité et qu'une interview réalisée par la nouvelle chaîne satellitaire Zitouna TV (lancée récemment par le fils du ministre de l'Enseignement supérieur) le confirmerait. Comme par magie, l'interview était diffusée quelques minutes plus tard et le prisonnier Mahmoudi y déclarait, en substance, être bien traité et...être heureux d'avoir été extradé de Tunisie et qu'il avait confiance dans la justice de son pays. Tant mieux pour lui. Mais comment se fait-il que ce soit juste cette chaîne qui ait eu la possibilité de l'interviewer et comment notre Premier ministre pouvait-il être au courant de l'interview avant qu'elle ne soit diffusée ? La Constituante n'a pas seulement ignoré la requête du président de la République, mais elle a aussi passé sous silence deux de ses décisions importantes pour le pays : le limogeage du gouverneur de la Banque Centrale et le refus de signer deux décrets importants pour l'économie du pays. Ces deux décisions devaient impérativement être examinées, entérinées ou refusées. Le comportement de M. Marzouki a tout d'une saute d'humeur. Son renoncement, à la dernière minute, de s'adresser au peuple tunisien reste confus et inexpliqué. A-t-il pensé aux conséquences ? En tout cas, la Présidence de la République, symbole de la souveraineté nationale et de la pérennité de l'Etat, y perd de son prestige et s'en trouve «clochardisée». De la même manière, l'Etat tunisien en prend un coup avec l'annonce de M. Jebali affirmant que la présence de Mahmoudi constituait un danger pour la Tunisie. A-t-on reçu des menaces ? A-t-on cédé à un chantage à part les soupçons de transactions financières ? La fonction de Premier ministre s'en trouve diminuée et « clochardisée ». On pourrait aussi rappeler une décision importante risquant de nuire au pays et passée sous silence par les uns et les autres : celle concernant l'annulation des passeports et des visas pour les Maghrébins leur ouvrant grandes les portes du pays sur simple présentation d'une carte d'identité et leur octroyant un tas d'avantages dont le droit de vote. Bienvenue donc à tous les salafistes, barbus, chauves-souris, islamistes, membres d'Al Qaïda, aventuriers, trafiquants... M. Jebali a estimé devant les constituants, histoire de calmer les esprits et de minimiser la crise, que «nous apprenons la démocratie et que nous passons un examen». Oui mais les examens, il faut les réussir, surtout lorsque l'on a la charge de tout un peuple qu'on gouverne. Ce n'est visiblement pas le cas. Et dans le cas d'espèce, il n'y a pas de session de contrôle. Il faut changer d'orientation et refaire ses classes.