Par Souad SAYED Le Tunisien post-révolutionnaire est en train de réussir là où plusieurs conquérants ont échoué, et dans tous les domaines. «Carthago delenda est» ! Plus de vingt-deux siècles après, l'appel du sénateur Caton l'Ancien est enfin mis à exécution. Pourtant, tel un phénix, Carthage détruite à plusieurs reprises lors de ces derniers siècles, renaissait à chaque fois de ses cendres. Aujourd'hui, Carthage est inscrite au patrimoine de l'humanité par l'Unesco. Mais il y a plusieurs façons de mourir, la pire est celle qu'est en train de vivre notre petite commune longtemps paisible : l'urbanisation anarchique. De nuit comme de jour, poussent des constructions. Les garages sont transformés en studios, puis en petites villas à louer. Les jardins se bétonnent, les balcons se transforment en salons couverts. Les constructions au ras des rues sont légion : elles seront ensuite transformées en commerces et en restaurants. Les constructions en hauteur R plus deux sur la côte, là où se trouvaient de petites villas de style colonial avec de merveilleux jardins, se multiplient. De retour d'une absence d'une semaine, vous découvrez que la nouvelle fenêtre du voisin ouvre sur votre chambre à coucher... Et alors ?! Portez plainte ! Amenez un huissier-notaire, faites des photos, dépensez 1.000 dinars en avocats et attendez que la justice décide de détruire la nouvelle extension et, surtout, que cela se réalise par la force. Or ce n'est jamais encore arrivé. Les tas de sable et de gravier sont partout, les maçons, au demeurant plus sympathiques que leurs employeurs, constituent une partie non négligeable de la population. Les bétonneuses travaillent sans relâche, surtout la nuit, les week-ends et les jours fériés. Faites un tour de Carthage-Byrsa à Carthage-Présidence en passant par le lac punique : la cité n'a plus aucun cachet. Aucune villa ne ressemble à l'autre. Chacun réalise ses fantasmes les plus fous, avec toutefois une constante : réduire les espaces verts au maximum. Le site est totalement dénaturé. Le plus triste et le plus grave est que le patrimoine archéologique de Carthage disparaît, recouvert de ciment, détruit, pillé sans que personne ne s'en offusque outre mesure. Les codes d'urbanisme, le coefficient d'occupation des sols, sont des mots creux pour l'équipe municipale actuelle, en charge d'appliquer la loi. L'irréparable est commis quotidiennement sous leurs yeux. Plusieurs citoyens originaires de cette commune se sont mobilisés, ont fait circuler des pétitions, ont essayé en vain de sensibiliser les responsables locaux et nationaux. Ces amoureux de Carthage ont récolté des injures et sont devenus des pestiférés dans leur commune. Leurs voisins ne leur disent même plus bonjour. Nous lançons un appel de détresse aux hauts responsables du nouveau régime : plusieurs d'entres eux nous ont fait l'honneur de venir habiter la commune de Carthage. On est en droit donc de penser qu'ils ne sont pas insensibles au charme de notre commune. Nous leur demandons de nous aider à arrêter le massacre et à sauver ce qui peut l'être encore de cette merveilleuse cité plurimillénaire.