Par Abdelhamid GMATI Le sujet est récurrent et est utilisé à satiété depuis le début de la Révolution. Il s'agit, bien sûr, de l'ex-parti de Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique. On ne cesse de l'évoquer, ou plutôt ses anciens membres, à chaque occasion. Il fait figure d'épouvantail et on le jette à la figure, comme argument indiscutable, de chaque personne, chaque initiative, chaque organisation, dont on veut se débarrasser à bon compte. Il suffit de dire «c'est un ex-Rcdéiste» pour que l'argument porte et que tout le monde se taise. En fait, que reproche-t-on au RCD et à ses membres? En réalité, beaucoup de choses. Fer de lance de la dictature et exécuteur des basses œuvres, ce parti a assis son hégémonie sur la vie politique, économique et sociale du pays, bannissant tout avis contraire, marginalisant les quelques partis d'opposition tolérés, et criminalisant toute autre opposition. Les très nombreux prisonniers politiques, condamnés au cours de procès iniques par des juges aux ordres, ont été criminalisés non pas pour des actes ou des prises de position contraires mais seulement pour appartenance à des partis ou organisations non autorisés. Ce fut le cas pour la majorité des nahdhaouis et il suffisait d'un seul soupçon d'appartenance à Ennahdha pour connaître la prison; en fait, ils n'avaient rien fait sauf aller souvent à la mosquée. On lui reproche aussi «d'avoir violé la loi du 3 mai 1988 sur les partis, au niveau de plusieurs articles, notamment l'article 2 qui prévoit que le parti politique doit défendre les acquis de la nation, surtout la forme républicaine du régime et ses fondements et le principe de la souveraineté du peuple», il a aussi introduit de multiples amendements sur la Constitution du pays depuis 1988, ce qui a conduit à l'effritement du régime républicain, à l'atteinte à la souveraineté du peuple et la transformation du régime politique du pays en un régime personnalisé et tyrannique. De plus, ses membres n'hésitaient pas à pratiquer le népotisme, le chantage, le clientélisme, la corruption, obligeant les citoyens, riches ou pauvres, à montrer patte blanche pour n'importe quelle autorisation, n'importe quel service. Et ils usaient et abusaient de la marginalisation et de l'exclusion. Des partis, notamment Ennahdha et le CPR, ne cessent depuis des mois de revendiquer l'exclusion des anciens membres de ce RCD, déjà dissous depuis le 9 mars 2011 (de façon arbitraire et illégale diront certains juristes). Et on prépare une loi en ce sens. Mais qui faut-il exclure ? Les quelque 2 à 3 millions d'adhérents que le parti revendiquait (chiffres certainement gonflés) ont-ils tous commis des malversations, des illégalités, des crimes ? Certainement pas, la grande majorité était contrainte d'adhérer au parti, par opportunisme ou par obligation. Quelques centaines, les dirigeants, sont certainement impliqués et méritent de rendre des comptes devant la justice, seulement devant la justice. Cet épouvantail a été une nouvelle fois brandi par ceux qui s'opposaient à la nomination de M. Chadli Ayari à la tête de la BCT. Et là, surprise : des députés d'Ennahdha ont minimisé l'implication du candidat dans les œuvres du RCD, et on a souligné que «du temps de la dictature, plusieurs Tunisiens compétents dans plusieurs domaines ont été utilisés et ont été exposés aux méfaits du despote. Ils ont même apostrophé l'opposition, affirmant que plusieurs de ses représentants étaient plus moins impliqués dans l'ancien régime». Le leader du Mouvement, M. Rached Ghannouchi, avait donné le ton en affirmant qu'il «faut pardonner aux compétences qui ont juste entretenu des relations légères avec la dictature, à condition qu'elles n'aient pas trempé dans le sang des Tunisiens». Sur ce, le député nahdhaoui, M. Habib Kheder, confirme que le groupe parlementaire du Mouvement Ennahdha présentera un projet de loi excluant les Rcdéistes corrompus et ne concernera que ceux «poursuivis dans des affaires de corruption et ceux dont la participation à consolider la dictature est établie, affirmant que le groupe est opposé à l'exclusion collective, et ce, dans le souci de préserver le droit à la citoyenneté de tous les Tunisiens». Voilà un revirement de nature à préserver le pays de certains déboires consécutifs à des actions arbitraires et injustes. Mais on apprend, aussi, par le truchement d'un député de l'opposition que plusieurs ex-membres du RCD travaillent au sein du gouvernement. Cela veut dire qu'Ennahdha recrute des Rcdéistes pour renforcer ses rangs. Il est vrai qu'il y a beaucoup de gens compétents parmi eux, et ce, dans tous les domaines, notamment politique. C'est d'ailleurs pour cela que le Mouvement islamiste veut les éliminer, craignant leur nombre, leurs connaissances du pays, leurs contacts avec la population et leur savoir-faire, dans la perspective des prochaines élections. Le problème ne réside pas au niveau des personnes. On peut toujours rendre inopérants et exclure des corrompus et des malfrats. C'est plutôt le système du RCD qui est à exclure, car bâti sur l'hégémonie, la pensée unique, la dictature. Que le Mouvement Ennahdha fasse appel à des compétences plus ou moins «propres» n'a rien de répréhensible, au contraire. Encore que l'on comprend mal les accusations lancées contre le Mouvement «Nida Tounès», dénoncé pour son accueil d'ex-Rcdéistes? L'exclusion serait donc intéressée : haro sur ceux qui ne sont pas avec les islamistes et bienvenue à ceux qui deviennent nahdhaouis. La vraie question est de savoir si Ennahdha veut adopter le système dictatorial tant honni et rejeté par la Révolution, ou seulement utiliser des compétences ?