Par Soufiane BEN FARHAT L'agression criminelle subie il y a quelques jours par MM. Abdelfettah Mourou et Youssef Seddik à Kairouan est symptomatique. Elle révèle la pente dangereuse qu'arpente notre pays depuis quelque temps. Désormais, la violence brute et sanguinaire supplée les discours de la haine. La haine de l'intellectuel est devenue monnaie courante. Des phalanges sont mobilisées à cet effet. Avec, pour principale, voire unique tâche, l'impératif de diaboliser et démoniser les intellectuels à tout vent. Ce triste manège dure depuis quelques mois. Plus particulièrement depuis l'accession de la Troïka au pouvoir. Des milices sont mobilisées pour contrer et mater dans l'œuf tout intellectuel, journaliste ou artiste qui ose critiquer le gouvernement. Les réseaux sociaux regorgent de sites occultes liés à l'establishment. De hauts responsables partisans l'ont reconnu. Leur tâche consiste à distiller à longueur de journées et de «pages» appropriées une animosité non feinte entretenue à l'endroit de certaines figures de la société civile, des médias et de la République des arts et des lettres. Des groupes de jeunes saignés à blanc interviennent dans les réunions publiques pour relayer la mêlée entretenue dans le virtuel. On l'a vu lors de la soirée à Kairouan. Soirée pourtant dédiée à la thématique de la tolérance en Islam. Des groupes se sont relayés pour invectiver et terroriser les intervenants. Avant que l'un d'eux n'attaque M. Abdelfettah Mourou moyennant un verre et ne lui cause des points de suture. Trois faits saillants ont caractérisé cette funeste soirée. En premier lieu, il y avait une étrange absence des forces de l'ordre. Aucun dispositif sécuritaire n'était en place. Les groupes de jeunes musclés ont investi la place, l'ont quittée et réinvestie comme dans un moulin. Avant le passage à l'acte fatidique. En deuxième lieu, des groupes de ces jeunes se sont autoproclamés en Tribunal d'inquisition. Publiquement et en toute liberté. Ils ont exigé de Youssef Seddik de proférer de vive voix la chahada et de renaître, ce faisant, en pieux musulman. En troisième lieu, aucune voix officielle n'a publiquement condamné cette violence. Le ministre de la Culture se tait. Idem du porte-parole du gouvernement et des principaux leaders de la Troïka gouvernante. Tout cela s'est déroulé dans une atmosphère électrifiée et fantasque. Et en toute impunité. En fait, toute la problématique est là. Dans l'impunité. Depuis des mois, des groupuscules extrémistes investissent la place, frappent untel d'anathème, violentent tel autre, en toute impunité. Ces gens-là sont libres de leurs mouvements. Et passent étrangement à travers les mailles du filet sécuritaire. Ils agissent calmement, sans craindre quelque interférence ou empêchement en vertu de la loi. La loi tunisienne n'est guère à réinventer. Elle incrimine bien les violences, leur apologie et l'incitation à la haine. Pourtant, les services appropriés semblent comme sourds face aux publiques incitations à la haine, aux lynchages verbaux, au terrorisme intellectuel. Il est temps de remettre les pendules à l'heure des valeurs de la République. Et de la primauté de la loi. Par-delà les calculs étroits et les esprits de chapelle malintentionnés. Toute personne coupable de violence ou d'incitation à la haine doit répondre de ses actes. Quelles que soient ses inclinations politiques ou idéologiques et ses allégeances partisanes. Ne nous y trompons pas. Les fascismes commencent par des actes isolés. La banalisation de la violence a un effet chloroformant sur les consciences. Les pathologies des violences inouïes qui déchirent des sociétés de fond en comble débutent à petit feu. Dans des discours isolés et des attitudes laxistes face à l'intolérable. Aujourd'hui, des hordes déchaînées pratiquent la violence sacrée au nom de l'ignorance sacrée. En toute impunité. L'Etat doit sévir et la loi primer. Dans tous les cas de figure. Autrement, ce sont des portes ouvertes sur l'inconnu infernal. Dont nous pâtirons tous tant que nous sommes.