Par Hassen Chaari * «Nous devons nous sentir tous responsables de ce qui n'a pas été réalisé» (Machiavel) Sur le plan politique, malgré une réalisation de taille consistant en l'élection de l'Assemblée nationale constituante (ANC) et la mise en place d'un gouvernement légitimé par les urnes, le pays continue à vivre dans une instabilité marquée par la présence d'un parti politique fort et structuré à côté d'une centaine de petits partis qui n'ont malheureusement pas de projet viable pour la Tunisie, si ce n'est celui de vouloir arrêter l'hégémonie grandissante de ce parti dominant. En plus, notre pays est désormais gouverné par trois présidents, dont les divergences de forme et de fond ne font que s'accentuer avec le temps. Au niveau économique et jusqu'à ce jour, l'essentiel des revendications de notre révolution n'est toujours pas réalisé, et surtout il n'y a pas de débat national sur les vraies questions concernant l'avenir macroéconomique de la Tunisie, même pas par la Constituante déconcertée et dépassée par les évènements. Au contraire, tous les partis s'adonnent d'ores et déjà à une campagne électorale en vue de gagner les prochains scrutins. Autrement dit, les équilibres macroéconomiques sont bouleversés et les risques d'une aggravation rapide de la situation sont, de l'avis de tous les experts, plus présents que jamais. Bref, la conjoncture économique actuelle n'est pas du tout à la hauteur des attentes des Tunisiens. Sur le plan social, la situation n'est pas meilleure. Le nombre des chômeurs a atteint des proportions insoutenables (plus de 800 mille dont 200 mille diplômés). Cette précarité a pris encore plus d'ampleur, avec notamment une augmentation galopante du coût de la vie aggravée davantage par une conjoncture européenne défavorable, mais surtout par une incapacité de l'Etat à réguler le marché et à réorganiser les réseaux de distribution. C'est pourquoi les Tunisiens d'avant le 14 janvier 2011 ont l'impression d'avoir mieux vécu que maintenant et d'être plus unis qu'ils ne le sont actuellement, du fait des pratiques politiciennes se basant sur le régionalisme, le corporatisme, le copinage et le loyalisme, et ce, au détriment de l'intérêt général du pays. Devant cette situation alarmante qui interpelle tous les patriotes animés par la seule volonté de voir notre Tunisie plus radieuse que jamais où il fait bon vivre pour tous ses enfants comme ce fut le cas depuis 3.000 ans, il est de notre devoir de dire au gouvernement actuel qu'il a l'obligation morale et politique de placer l'intérêt national au-dessus de toute considération partisane. Il n'y a plus de place à une polémique religieuse visant à dominer le pays en écartant l'esprit consensuel, responsable et impartial. Comme l'islam est dans les cœurs de tous les Tunisiens, on n'a pas besoin de tuteurs pour le pratiquer correctement. Aujourd'hui, le principal risque qui guette le pays est celui de l'inaction et du défaitisme. Cela est reflété par l'indifférence et l'abandon de la résistance de la majorité silencieuse. Ce qu'on constate réellement, c'est une sorte de fatigue et de perte de détermination chez beaucoup d'acteurs de la société civile, malgré le fait que les enjeux sont considérables et que l'avenir de la Tunisie se joue dans les quelques prochains mois. Il est aussi de notre devoir de demander à la majorité silencieuse et aux forces vives du pays de constituer des «think-tank» de propositions constructives à la hauteur des grands défis qui nous guettent, mais aussi à se rassembler le plus nombreux possible pour dénoncer haut et fort tout dérapage politique et tout acte politicien malsain. Après la révolution, les Tunisiens doivent saisir une fois pour toutes que pour vivre en paix, il faut être en concertation et en dialogue les uns avec les autres. En outre, ils doivent enfin oublier l'égoïsme, l'antagonisme, l'égocentrisme... Sinon, bonjour les dégâts ! C'est pourquoi un nouveau sursaut populaire et pacifique est impératif. En ce moment, Ramadan et la chaleur de l'été étouffent les Tunisiens, mais la rentrée pourrait être décisive pour tenter de corriger le tir et réussir enfin les objectifs de la révolution. La Tunisie a besoin d'un sage « père de la nation » ! Les déçus de la révolution regrettent que l'Etat ait perdu son autorité et soit de plus en plus remis en cause : la sécurité n'est pas assurée suffisamment, l'eau et l'électricité subissent des coupures répétitives, les prix connaissent une flambée sans précédent et la liberté d'expression sert désormais aux extrémistes qui en font usage pour propager l'incertitude et la peur. Idem, la justice est un des points noirs du gouvernement islamiste actuel, puisque la liberté des tribunaux n'est acceptée que dans ses discours de façade. C'est la preuve de l'échec de la Troïka qui n'offre aujourd'hui aucune perspective d'avenir crédible aux Tunisiens. Pire encore, les Tunisiens ont l'impression d'être gouvernés par des politiciens amateurs et incapables. Une absence remarquable de leadership et de charisme est plus que réelle. Autrement dit, il manque actuellement au pays un leader de la trempe de Bourguiba jouant le rôle de « père de la nation ». Si la situation transitoire actuelle s'amplifiait, elle pourrait — hélas — provoquer le retour de la dictature, voire une deuxième révolution dévastatrice. Les Tunisiens ont ainsi des raisons d'être pessimistes... * (Universitaire et président de l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation-ADRI)