Par Hassen CHAARI* «Il faut se réclamer de l'universel pour résister à l'extrémisme barbare» « La Tunisie est toujours en première année démocratie. Nous apprenons la démocratie, et ce n'est pas facile !» Citations anonymes La démocratie en Tunisie souffre de l'émergence de partis politiques qui, par leur affichage de valeurs non-démocratiques, choquent et inquiètent. Nombreux sont les dirigeants politiques qui se présentent comme démocrates mais s'obstinent à ne pas pratiquer les règles les plus élémentaires de la démocratie. Ce paradoxe provient surtout de leur méconnaissance des principes et pratiques démocratiques. Faut-il indiquer ici que la démocratie est une doctrine politique selon laquelle l'on accepte d'être remis en cause à partir du moment où on s'oppose aux changements voulus par les citoyens. D'où la définition d'un non-démocrate qui est celui qui ne se soumet pas à la volonté populaire. C'est pourquoi la première étape de la démocratie consiste à ne pas rejeter l'autre. Au contraire, il faut l'écouter, discuter avec lui et pourquoi ne pas le convaincre d'aller vers sa propre conception des choses. Pour ce faire, l'éducation généralisée est un préalable à même de rendre tous les discours inoffensifs. Aussi devons-nous œuvrer, pour instaurer la vraie démocratie, au développement de l'éducation et à la large consécration de la tolérance ! Autrement dit, si l'idée d'une personne ne nous convient pas, pourquoi ne tenterions nous pas de la convaincre par le dialogue et la concertation? Ce qui veut dire que dans une démocratie, on ne combat les idées que par d'autres idées et non pas par la violence. Il est certainement inadmissible pour un démocrate de rejeter une personne uniquement parce qu'elle ne partage pas les mêmes idées que lui. Autrement dit, pour contrer des valeurs comme l'extrémisme, il n'y a pas d'autres moyens que de supprimer l'ignorance en développant l'éducation et la tolérance. Dans les pays développés où la démocratie est entrée dans les mœurs, celle-ci fait désormais partie du mode de vie quotidien et apparaît comme un ensemble de droits et devoirs acquis sans lesquels la population ne s'imagine plus pouvoir vivre. Ces nations s'appellent désormais « les grandes démocraties » parce qu'elles ont pu assimiler la culture y afférente. Obliger tous les Tunisiens éligibles à aller voter ! Un des pôles importants du paysage politique tunisien post- révolutionnaire est constitué par le courant réformateur qui a jadis conduit le pays à l'indépendance et lui a permis de percevoir les lumières de la modernité. Ce courant, incarné à un moment donné de notre histoire par le «mouvement destourien», tente ces jours-ci de ressusciter ses forces et ses idéaux. Il peut avoir encore un grand rôle historique à jouer et participer positivement au développement général du pays. Ce courant réformateur se propose de repartir sur la base de nouveaux principes et de nouvelles logiques organisationnelles et souhaite, par sa démarche et ses actions populaires, faire preuve d'une mutation radicale. S'il se hasarde – par mauvaise foi — de maquiller les lions restants du RCD du patriotisme et d'honnêteté, cela lui sera définitivement fatal. A vrai dire, le programme du courant réformateur s'avère actuel et avant-gardiste sur un certain nombre de points. Il mérite d'être parachevé. Des hommes sincères comme Bourguiba l'ont longtemps porté et ceux-ci méritent que nous marchions sur leurs pas. Aujourd'hui, le problème qui nous est posé est le suivant: que faire pour que tous les électeurs, dans tout le pays, s'inscrivent sur les listes électorales et votent réellement lorsqu'ils sont appelés à le faire, et ce, pour que les partis minoritaires ne parviennent plus injustement au pouvoir? Pour y parvenir, il faudrait adopter le système qui fait de la participation aux scrutins nationaux une obligation légale pour chaque membre du corps électoral. Comment alors inciter tous les tunisiens, sans exception, à exprimer leur suffrage ? Très simple, tous ceux qui ne votent pas seront passibles d'une amende. Chacun incitera alors l'autre à aller voter et la participation tendra par conséquent vers 100% des électeurs. L'avantage est de faire participer effectivement aux scrutins (presque) tous les citoyens tunisiens en âge de voter et avoir par conséquent des résultats réellement conformes à la cartographie politique du pays. Ce faisant, la sortie du totalitarisme et de l'unipartisme devient effective et irréversible et l'entrée en démocratie serait fondée sur un équilibre des forces dans toutes les institutions, ainsi que sur des procédures et des systèmes électoraux qui garantissent une représentativité équitable. Comme les organisations politiques, syndicales et les ONG de la société civile sont aussi des murs porteurs de l'édifice démocratique, elles peuvent constituer, dans le paysage politique, un rempart contre l'égotisme et la corruption. Elles peuvent aussi intégrer dans la société tunisienne une éthique politique qui déploie la responsabilité individuelle et collective vers l'avenir. Cela dit, la situation actuelle dans notre pays est délicate et parfois inquiétante. Mais elle est sûrement préférable à celle d'avant le 14 janvier 2011. Le peuple tunisien a enfin décidé de ne plus vivre dans le mépris et l'injustice. Pour une fois, la peur d'agir et de réagir s'est estompée significativement. Reste maintenant à restaurer la confiance et la cohésion face à notre projet sociétal d'avenir. Réussir cet ouvrage est de la responsabilité de toutes les bonnes volontés dans le pays. Ce qui est sûr, la tâche de reconstruction de notre pays et de notre société sera rude et longue. Elle ne peut être que collective et elle nécessitera du temps. Prenons alors le temps, le plus court possible, mais interdisons-nous toute conduite qui pourrait transformer le temps en désespoir et décadence à même de diviser la Tunisie en des courants hostiles et antagonistes ! Une étude récente de la Banque africaine de développement (BAD) a fait apparaître que la cassure entre la côte (développée) et l'intérieur (oublié) ne cessait de s'aggraver. Une fragmentation calamiteuse de la société tunisienne est à l'œuvre, avec des dommages irrémédiables pour l'avenir. Heureusement, malgré ses incontestables handicaps, la Tunisie montre des signes de renaissance et d'espoir. Après une récession en 2011, l'économie tunisienne est de nouveau en croissance en 2012 et le verre est redevenu à moitié plein. Devant les difficultés et les défis, les Tunisiens, débrouillards et travailleurs, ne baissent pas facilement les bras et font toujours preuve d'une solidarité exemplaire et c'est tant mieux ! *(Universitaire et président de l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation-Adri)