Par Abdelhamid GMATI Le président de la République, M. Moncef Marzouki, a le souci de l'image. Normal, dirait-on dans un monde où l'image, relayée par les médias avec leurs moyens modernes, est prépondérante. Et ce, dans tous les domaines, particulièrement dans le monde politique. Depuis l'ex-président américain, John Kennedy, appliquant le conseil de son père («Qui t'a demandé un programme ? L'image, mon fils, l'image»), les programmes ne semblent être que des appoints. On l'a vu partout lors des élections. On le voit ces temps-ci avec la campagne présidentielle américaine, avec des candidats soucieux de donner la meilleure image d'eux-mêmes et à gagner la confiance des électeurs. Notre président n'a pas été en reste et depuis qu'il se trouve à Carthage, il multiplie les déplacements et les initiatives pour donner de lui-même l'image d'un président attentif, entreprenant, imaginatif. Même si certaines de ses propositions n'ont pas été heureuses ni suivies d'effet, il ne laisse pas indifférent. Exemple : sa demande d'extradition de l'ex-dictateur faite à l'Arabie Saoudite qui n'a pas répondu positivement ; ou sa demande d'expulser le gendre de Ben Ali du Qatar, apparemment suivie d'effet dans la confusion (éloignement ou expulsion). Il n'en reste pas moins que c'est à son actif. Mais M. Marzouki ne se soucie pas seulement de son image, il s'inquiète de l'image de la Tunisie. Dans une récente interview accordée au journal français Le Figaro, notre président se dit «accablé, scandalisé, blessé, indigné par l'image qu'on y donne de la Tunisie en France, à savoir un pays qui va basculer dans l'escarcelle de l'islamisme». Et il explicite : «Le moindre petit incident, qui n'a strictement aucun impact sur la société tunisienne, est grossi, comme cette malheureuse attaque d'un élu français qui a déclenché un branle-bas de combat médiatique. Je ne veux pas dire que ce n'est pas un acte condamnable, mais il y a des millions de touristes en Tunisie et ils ne sont jamais agressés». Concernant une certaine «dérive autoritaire» du parti islamiste Ennahda, qui domine le gouvernement et l'Assemblée constituante en Tunisie, Moncef Marzouki a évoqué une «tentation» et une «tentative» de «mainmise sur un certain nombre de rouages de l'Etat». Mais «dès qu'on les met en garde, ils reculent». Et il affirme : «Jamais les libertés n'ont été autant protégées dans ce pays». Chaque Tunisien est soucieux de l'image de son pays à l'étranger et on se félicite lorsqu'un responsable s'en préoccupe. Car de l'image que l'on projette à l'étranger, dépendent la qualité des relations internationales, l'attrait culturel, politique, économique, les investissements, le tourisme, les échanges, la crédibilité...Cependant, il ne suffit pas de contester l'image donnée par les médias étrangers, il faut veiller à ce que la réalité corresponde à l'image. Est-ce le cas ? M. Marzouki a joué son rôle en tentant de minimiser la présence salafiste. Mais la réalité est tout autre : on est tous au fait des agressions, des violences commises par ces groupes de salafistes qui s'en prennent aux artistes, aux journalistes, au mode de vie des Tunisiens, aux femmes, aux opposants, même aux représentants de l'Etat et aux forces de l'ordre, et ce, dans l'impunité la plus totale. Et il n'y a pas que cela. Plusieurs organisations de défense des droits de l'Homme tunisiennes et étrangères ne cessent de dénoncer les atteintes à ces droits et aux libertés fondamentales. Ce lundi, le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme a exprimé son inquiétude soulignant que «les appels lancés par certaines parties à attaquer les journalistes, artistes et intellectuels sont contraires aux garanties juridiques prévues par les pactes et conventions internationaux». Les droits des femmes se trouvent menacés, notamment par un projet de loi les réduisant à être «complémentaires»; les droits des artistes et la liberté d'expression sont menacés par un projet de loi criminalisant les «atteintes au sacré»; les médias se battent pour sauvegarder leur indépendance et empêcher les tentatives de mainmise du parti Ennahdha; idem pour les magistrats ; la censure menace de nouveau l'internet ; la liberté de manifester est de nouveau contrôlée et restreinte par le ministère de l'Intérieur ; la situation socioéconomique ne cesse de se dégrader, et les grèves, les sit-in continuent. Telle est la réalité des choses (juste un résumé). Dans son interview, le chef de l'Etat évoque «le projet d'une société pluraliste, tolérante, où la femme est l'égale de l'homme, une société ouverte sur le monde tout en étant attachée à ses racines». Il serait bienvenu qu'il agisse pour que ce projet devienne réalité. L'image de la Tunisie s'en trouverait immédiatement améliorée.