Par Néjib OUERGHI L'atteinte au sacré peut-elle servir d'alibi pour la violence aveugle, que certains groupes salafistes veulent imposer dans notre société comme mode d'expression et méthode d'action? Les événements tragiques et graves qui se sont déroulés, vendredi après-midi à Tunis, ont fourni un nouveau message alarmant: le risque de voir la Tunisie plonger, à nouveau, dans la violence politique. N'importe quel événement est exploité par les groupes extrémistes pour faire étalage de leur force de nuisance et pour installer nos villes dans la peur. Le lourd bilan de la manifestation qui a pris pour cible l'ambassade américaine à Tunis a montré que la ligne rouge a été franchie. Au regard de l'arsenal dont se sont servis ces manifestants, non pacifiques, (cocktails-Molotov, pierres, barres de fer...), de leur détermination à forcer l'enceinte de l'ambassade, de tout détruire (voitures, installations), de leur refus systématique d'obtempérer (plus d'une vingtaine de policiers blessés), ils ont confirmé que leur acte n'a pas été fortuit. Le plus grand perdant dans cette affaire est, assurément, la Tunisie qui s'est trouvée dans une position très inconfortable au plan international. La violation d'une mission diplomatique est une atteinte aux conventions internationales régissant les relations entre les pays. Du coup, l'atteinte au sacré, dont l'origine est un film américain dénigrant l'Islam, a perdu toute sa raison d'être par le déferlement de la haine et de la violence. Encore une bataille, au demeurant juste, que la Tunisie et les autres pays arabes, où des événements tragiques ont eu lieu, ont perdue. Les foules, endoctrinées, ont reçu, partout dans ces pays, le même mot d'ordre : attaquer et brûler les missions diplomatiques américaines. Dans un pays voisin, où tout le processus a été déclenché, on est allé jusqu'au meurtre et au lynchage. Un constat amer qui a poussé un responsable politique américain à un commentaire d'une grande signification: Les pays arabes n'ont «pas troqué la tyrannie d'un dictateur contre celle des foules». Pour la Tunisie, après les temps des mises en garde, que de nombreuses voix de la société civile avaient formulées, que ce soit après l'affaire de Bir Ali Ben Khlifa, ou à propos de l'activisme débordant et incontrôlé des groupes salafistes et leur propension à l'usage de la force comme seul moyen d'expression, aujourd'hui on ne fait que constater les dégâts. Faire face à cette menace réelle qui risque de porter atteinte à notre modèle de société, à nos droits, libertés et à nos relations avec les pays frères et amis, devient une urgence et la première responsabilité que les pouvoirs publics sont appelés à assumer pleinement. A défaut, c'est l'unité du pays, sa stabilité et ses intérêts vitaux qui peuvent en pâtir. Les événements tragiques qui se sont déroulés vendredi doivent, cette fois-ci, être pris au sérieux. Leur gravité supporte mal un discours laxiste, des demi-mesures ou l'option pour la politique de l'autruche. La révolution tunisienne, qui a soulevé tant d'espoir et tant d'intérêt à travers le monde, peut-elle accoucher d'une nouvelle dictature aveugle ? Aujourd'hui, la sonnette d'alarme est tirée et il revient à toutes les forces politiques et à la société civile de rectifier le tir et de donner son vrai sens à la liberté, la démocratie et la dignité criées à tue-tête par toute la jeunesse tunisienne le 14 janvier 2011. Le deuxième événement qui a retenu l'attention cette semaine est l'information choc diffusée, confirmée et reconfirmée unilatéralement par la Présidence de la République à propos de l'hypothétique expulsion par le Qatar de Sakhr El Materi, gendre du président déchu. Une information, ou plutôt un cas d'école en termes d'instrumentalisation des médias à des fins politiciennes, voire électoralistes. Ce qui a le plus intrigué, c'est la coïncidence de l'annonce de l'information avec la visite du président provisoire, M Moncef Marzouki, au Qatar pour participer au forum arabe sur la restitution des fonds spoliés aux pays du Printemps arabe. Hasard, arrangement ou simplement coup de bluff médiatique ? C'est tout à la fois. Dans l'impossibilité de voir ce forum, où seul le président tunisien a été convié, déboucher sur des résultats concrets, l'expulsion de Sakhr El Materi, dont le ministre de la Justice de l'Emirat ignore les tenants et les aboutissants et aucun journal de Doha n'a fait l'écho, a été la bonne astuce trouvée pour créer un événement de substitution. Toute la polémique qu'a suscitée cette information est, assurément, révélatrice du dilettantisme des personnes qui sont en charge de la communication dans cette importante institution républicaine. Peut-on, en effet, laisser croire la décision d'expulsion du gendre du président déchu, dont l'authenticité n'est pas vérifiée, comme une victoire ou un trophée de guerre pour les négociateurs qui ont pu obtenir cette concession, au moment où l'on s'attendait à l'extradition de cette personne ? Dans tous les cas de figure, la Tunisie et les médias nationaux méritent mieux que ces ragots qu'on a voulu leur faire avaler. Le bon argument avait fait défaut, la preuve aussi. Un enseignement à retenir néanmoins : le Qatar n'a montré, jusqu'à ce jour, aucune disposition à restituer à la Tunisie les fonds déposés dans ses banques, faisant la sourde oreille à toutes les injonctions qui lui ont été adressées par la justice tunisienne. Dernier fait aberrant : entre l'administration du tourisme et les professionnels du secteur, le dialogue est presque rompu et la confiance est entamée. Alors que ce secteur, encore convalescent, commence à montrer des signes de reprise, les divergences sont totales entre le ministère du Tourisme, la Fédération tunisienne de l'hôtellerie et la Fédération tunisienne des agents de voyages. Elles concernent tous les dossiers brûlants : la stratégie de promotion de la destination Tunisie, les politiques de développement du secteur, les dossiers épineux de l'endettement, du transport aérien, de la formation et de la mise à niveau. Au moment où tous les efforts doivent converger pour réussir la nouvelle saison, la suspicion et le doute s'installent creusant chaque jour davantage le fossé entre ces deux partenaires qui ont pourtant toujours travaillé ensemble pour que ce secteur se développe et résiste aux crises. Il est maintenant impérieux que les uns et les autres fassent l'effort requis en mettant sur la table tous les dossiers qui fâchent pour leur trouver le traitement qui assure et la survie du secteur et sa contribution à l'économie du pays.