Par Abdelhamid GMATI L'opinion publique tunisienne vient de subir un nouveau traumatisme avec les graves incidents dramatiques qui ont eu lieu lors de l'attaque par des salafistes de l'ambassade américaine à Tunis et qui ont fait 4 morts et des dizaines de blessés dont plusieurs par balles. En vérité, tout au long de ces derniers mois, les agressions des salafistes se sont succédé causant à chaque fois, émoi et réprobation. Sauf du côté du gouvernement islamiste, complaisant et inactif. Cette fois ci, l'onde de choc a atteint toute la classe politique, islamistes compris. Les défaillances du ministère de l'Intérieur, incapable de contenir une manifestation pourtant prévue d'avance ont été unanimement dénoncées sauf par quelques islamistes qui ont cherché à les minimiser ou même à les nier à l'instar de Sahbi Attig, président du bloc d'Ennahdha à la Constituante qui estime que «ce sont des allégations, de fausses informations; il y a eu des erreurs tactiques, mais le ministère s'en est finalement bien sorti et a su et pu, en fin de compte, maîtriser la situation». En fait, c'est l'intervention de la garde présidentielle qui a permis d'éviter le pire. Ce même ministère n'a pas été capable d'arrêter l'un des leaders salafistes, recherché pour plusieurs délits. On l'a même laissé filer. Explication : «Le retrait des forces de sécurité était tactique afin de ne pas entrer en confrontation avec les salafistes...». Nous sommes donc édifiés : les salafistes peuvent dicter leur loi sans crainte, les forces de l'ordre fuyant la confrontation. Cela n'empêche pas le ministère de l'Intérieur d'agir promptement pour sécuriser le siège d'Ennahdha, suite à une menace salafiste. Quoi qu'il en soit, même le gouvernement prend conscience qu'il y a péril en la demeure. Le mouvement Ennahdha, au pouvoir, suivant plusieurs appels de personnalités de l'opposition et de l'ANC pour un gouvernement d'union nationale, a pris plusieurs contacts avec des partis de l'opposition et des représentants de la société civile sans le but de trouver une solution sauvant la transition. Il faut croire que les violons ne sont pas accordés puisque le chef du gouvernement, l'islamiste, Hamadi Jebali pense que «l'union nationale ne signifie pas automatiquement l'entrée au gouvernement, que celle ci n'est qu'un mécanisme parmi d'autres mais que cette union nationale peut se concrétiser par la compréhension mutuelle...». Cela veut dire que les islamistes ne sont pas disposés à partager le pouvoir. Mais au fait: que pourra faire un gouvernement d'union nationale? Pourra t-il débloquer la situation et conforter les Tunisiens inquiets ? La seule vraie solution réside dans l'adoption de cette nouvelle Constitution qui permettrait des élections générales. Mais quid de cette Constitution ? On en parle beaucoup, comme l'Arlésienne ou comme Godot, on l'attend et on ne la voit pas venir. En principe, et selon les engagements signés par 11 partis y compris Ennahdha (décret 1086 du 3 août 2011), elle devrait être prête le 23 octobre prochain. Mais les constituants se sont surtout occupés de projets de loi secondaires délaissant ce pourquoi ils ont été élus. On assiste depuis quelques mois à une valse de propositions : les uns affirmant que le texte sera prêt à la date indiquée, d'autres signifiant qu'il faudra attendre le printemps. D'où la polémique : certains estiment que le 23 octobre est une date à ne pas dépasser car c'est là que s'arrête la légitimité des institutions (assemblée, gouvernement, présidence) et qu'il y aura alors absence de légalité; d'autres (ceux qui sont au pouvoir) pensent que la légalité est maintenue jusqu'à l'élaboration de la Constitution. Pour l'heure, aucune feuille de route n'est adoptée et le Tunisien ne sait plus où va le pays. Des voix nombreuses s'élèvent et appellent à une manifestation devant le siège de la Constituante le 24 octobre pour exprimer leur réprobation, réclamer la Constitution et dénoncer l'illégitimité des pouvoirs en place. Ce à quoi, l'ineffable secrétaire général du CPR, Mohamed Abbou, «met en garde» ceux qui réclameraient la fin de la légalité de la Constituante en leur rappelant un article de loi prévoyant la peine de mort «pour toute personne qui voudrait opérer un renversement du pouvoir par la violence». Dans ce cas, ceux qui ont fait la révolution sont passibles de la peine de mort ; car une révolution est légitime mais n'est pas légale. Heureusement, personne parmi les manifestants n'use de violence. Sauf les salafistes et les islamistes. Avec tout cela, cette absence de Constitution, la nonchalance de constituants soucieux de prolonger leurs privilèges et leurs salaires, l'attachement des islamistes au pouvoir et la violence des salafistes, on n'est pas sorti de l'auberge.