Par Salah HADJI Quelle signification centrale peuvent bien avoir les multiples manifestations de violence qu'a connues le pays ces derniers mois à l'endroit de la question du «sacré» et du «blasphème» et dont la toute dernière qui a eu pour théâtre l'ambassade des USA a été la plus ravageuse ? L'arrogance effrénée des bandes de barbus, de nékabées, de voyous et de fossoyeurs agissant avec frénésie et légèreté débridée ne peut que rendre pantois quiconque constate à l'évidence que ces bandes se comportent à chaque fois sans contrôle ni sanction. Tout se passe en effet comme si, à l'ombre du nouveau pouvoir confisqué depuis le 23 octobre 2011, personne ne pouvait plus être responsable de telles hordes, encore moins de leurs actes de violence et de la dérive incendiaire de leurs mots d'ordre allant jusqu'à l'appel au meurtre (éminemment à l'encontre de M. Béji Caïd Essebsi). 1- Il faut bien le dire, sans ambages : les nouveaux maîtres des lieux politiques n'usent des termes de droit, de justice, de révolution, de liberté et de démocratie que pour des figurines. Cela signifie littéralement qu'ils vident ces concepts majeurs propres aux temps modernes de leur sens éthique et politique et de leur telos civique. En effet, comment se pourrait-il qu'il en fut autrement dès lors que nous avons affaire à une multitude qui, pour avoir réussi à se ficeler en fagot et à s'emparer ainsi des leviers des pouvoirs d'Etat, bute très rapidement sur sa propre impuissance à gérer la société dans le respect du sens éminent de son unité historique et des intérêt supérieurs de son peuple. Plus est, comment ne pas souligner que ces «personnages» qui gouvernent le pays, en empruntant l'habit de moine, ne tardent pas à se défroquer à toute occasion? S'érigeant en despotes, ils s'en cachent à coup de démagogie, l'absence de scrupule faisant assurer la honte par une politique de l'autruche. Comment ne pas voir dans une pareille farce politique l'alternance fonctionnelle de la défroque et de l'habit de moine? 2- Une telle image fripière du politique, devenue prégnante depuis quelques mois, influence passivement, mais elle influence. Le rapport de force que les milieux devenus dominants à l'occasion voudraient faire prévaloir n'est en fait qu'une apparence illusoire faite de manœuvres qui utilisent en pâture masses d'ignorants, bandes de zélés, hordes sauvages, aux côtés d'opportunistes improvisés sans vergogne hommes politiques. Certains milieux politiques structurellement fragiles ont commencé, depuis le 23 octobre 2011, non pas à interpeller leurs objectifs et méthodes propres en s'armant d'esprit critique et de pensée politique, mais à se mirer passivement dans ce rapport de force illusoire en y scrutant leur propre image. Au lieu de remettre en cause les schémas usités du phénomène islamiste en politique, certains ont eu plutôt tendance à s'y accommoder à moindre frais. L'attention prêtée à la politisation du religieux s'est fixée, depuis, selon deux vecteurs d'intérêt. Pour les uns, il s'agit de tirer profit du présent, en termes de positionnement, d'ancrage et d'adaptation à ce retour en transe du passé le plus lointain. Tout se passe à leurs yeux comme s'ils prenaient pour destin cette grosse illusion de voir ce passé millénaire revenir comme par enchantement pour devenir notre présent. Pour les autres, en l'occurrence les islamistes, il s'agit de mettre les bouchées doubles en entretenant cette illusion et en donnant à y voir le relief massif de ce qui leur paraît constituer aujourd'hui la position appuyée dans le rapport de force politique. Ainsi, il n'y a pas lieu de s'étonner de les voir se laisser enivrer par un tel immédiat aussi longtemps qu'il continue à alimenter fébrilement leurs appétits de nouveaux «imams» de la politique. 3- De tels appétits ne sont devenus autant dévorants que parce qu'ils ont été nourris, durant des décennies, par les figures télévisionnaires que la mondialisation et ses médias satellitaires ont rendues trop familières pour ne pas atteindre le mico-social. En effet, on réussit à faire entrer tout de go, moyennant antennes, plateaux et réseaux, Bush-Obama /dirigeants du Golfe, supermarket/ Keffieh, hommes d'affaires américano-sionistes/R. Ghannouchi, teenagers/tête rase surplombant barbe hirsute, bandes dessinées/contes de fées, compétition loyale /main basse royale, réservoirs de savoirs/réservoirs de pétrole, hommes d'Etat/sous-fifres parachutés, démocratie/autocratie, rapports de compétence/ rapports familiaux... Autant de figures que prend l'adversité et que l'on voit voisiner et se complaire dans une mécanique sociale et politique fonctionnant comme «certitude». Si de pareilles oppositions criantes font ainsi bon ménage, c'est que la nature de l'intérêt peut changer sans que change la suffisance. Comme nous vivons à une époque de désenchantement du monde, nos fossoyeurs évitent de heurter les intérêts de leurs pairs dominants en empruntant une posture de sous-traitance. Tel est le sen qu'ils donnent au «bon sens» : le maintien d'un statu quo avec profil bas en échange d'un espoir d'y trouver place, si étriquée soit-elle, pourvu qu'elle suffise à la conservation de soi. On ne doit plus s'étonner alors de voir ceux qui se complaisent aujourd'hui à arborer l'étendard du religieux sous ses forces les plus conservatrices n'éprouver aucune gêne à emprunter l'avion avec leur Keffieh et nikab tout en étant flanqués de liasses de dollars, à faire le tour du monde et à s'autoriser même des décennies dans des capitales européennes. C'est que les forces de la suffisance s'annoncent dans le langage et de l'intérêt et du dogme pour mieux dissimuler leur convoitise passionnelle du pouvoir sur les autres. 4- Il faut relever toutefois qu'entre-temps, se dévoile de plus en plus ce côté qui fait marcher ensemble chez les islamistes le diable et le bon Dieu, les grandes puissances d'argent sur lesquelles ils s'appuient et les milieux déshérités qu'ils nourrissent de degrés et de promesses fallacieuses en vue de les maintenir sous leur coupe. Ce qui est, ici, dénoncé ne relève pas de ce que l'on appelle communément un «double langage», il relève plutôt et éminemment d'une «double posture» fonctionnant au social, à l'économique et au politique. Posture d'autant plus cynique qu'elle s'offre toute la société en pâture en y injectant illusions d'ignorants et venin de revanchards. Que ce statut des islamistes se révèle bancal à chaque à-coup, foncièrement conservateurs comme ils sont, ils ne perdent pas l'illusion de pouvoir toujours y convoiter quelque but : découvrir au moins que leurs mille et un rites continuent d'égrener le temps en y entretenant leurs fausses aurores. (Est-ce un hasard que leur journal s'appelle l'Aurore et que ce même vocable a servi de titre pour le journal des obscurantistes et terroristes japonais pendant la période 1970-1980 ?) 5– Ces forces occultes recontrent-elles aujourd'hui la tempête ? Il leur faut toujours s'agripper quelque part à n'importe quel fétiche : y recontrent-elles blasphème ou provocation à l'endroit des symboles religieux ? De tels agrissements semblent même leur tomber du ciel, tant ils peuvent les servir auprès des masses incultes, en les investissant dans leur rôle de gardiens zèles des dognes et de bergers du peuple croyant. C'est là que réside sans doute la fonction de ces sous-produits mercantiles de la «culture» qui fonctionnent à la provocation et que l'on guette pour y contribuer en les propageant à la vitesse de l'étincelle. Mettre les masses en branle et redorer par la même occasion les oripeaux de leurs «cheikhs» en mal d'assise et d'identité, tel est le gain. Manifestement, de tels événements créés artificiellement imposent la plus grande vigilance pour pouvoir démêler piété et hypocrisie, transcendance et veulerie, poignée de main cordiale et main basse sur l'autre. On ne dira jamais assez pour souligner que le parole prophétique en tant qu'expression de la transcendance et du sublime est nécessairement au-dessus de toutes les mêlées. Pour tenter de nous y élever, serait-ce par «sympathie» spirituelle ou mystique ne devrions-nous pas avouer qu'il ne nous resterait alors qu'à faire l'expérience de la «Nuit» en nous laissant envelopper par la parole prophétique elle-même telle qu'elle nous est livrée dans son universalité par la Sourate «Le voyage nocturne» (Sourate XVII-El Israa). Un pareil «voyage», comme expression du passage du réel au surréel, de l'existence à la surexistence, nous invite à nous placer bien au-dessus de tout blasphème de toute provocation et de tout zèle d'ignorants. 6– A plus d'un égard, les attitudes qui se ressourcent dans le capital symbolique du religieux, qu'elles soient d'attaque ou de défense cèlent fondamentalement des contradictions de nature non religieuse et fonctionnent dans leur recyclage et leur va-et-vient comme hypocrisie. Elles prouvent tout au moins que ceux qui en font leur mouture ont perdu leur honnêteté d'homme et ne peuvent plus désormais masquer le caractère démagogique de leur idéologie fonctionnant comme politicaillerie. A les voir, sous couvert de piété religieuse, s'immiscer dans toutes les affaires de la cité quand il s'agit notamment des débats portant sur la nature du régime, l'instruction, la libre pensée, l'art, l'égalité entre la femme et l'homme, l'administration... C'est la nature gélatineuse et hégémonique de leurs intérêts étroits qui part en croisade contre l'ensemble de la société. Participer à la vie politique ne consiste pas pour eux à favoriser les débats et enrichir la vie sociale et intellectuelle, mais à servir au contraire une posture d'autant plus hypocrite qu'elle joue la confusion et le mélange des genres.