Par Guido WESTERWELLE et Rafik Ben ABDELSSALEM* Les images qui ont été diffusées ces derniers jours nous ont rempli d'effroi et bouleversés. Elles font naître en nous à la fois la tristesse et la colère. Nous avons vu d'un côté une présentation humiliante du Prophète de l'Islam diffusée dans un but de provocation délibérée et, de l'autre, les ambassades des pays occidentaux prises d'assaut par des foules excitées à la révolte qui ne reculaient ni devant la violence ni devant le meurtre. Nous avons été malgré nous les témoins des actes auxquels peuvent mener l'extrémisme religieux et le fanatisme. Ces images présentent une réalité déformée : en effet, ceux qui, dans le monde occidental comme dans les pays islamiques d'Afrique du Nord, du Proche Orient et d'Asie, emploient le langage de la confrontation et les images de la provocation, veulent semer la haine et récolter une violence aveugle, ne sont qu'une minorité. En vérité, la situation est tout autre que celle que ces images suggèrent : la grande majorité des peuples, des deux côtés, aspire tout comme nous à la démocratie et est en quête de véritables perspectives de vie. Tout comme nous, ces hommes et ces femmes éprouvent du dégoût pour une vidéo qui calomnie les personnes de confession différente et qui les offensent en se servant de préjugés odieux. Tout comme nous, ils récusent la vague de violence horrible déclenchée par ces événements. Nous voulons réagir à cette situation en lançant ensemble un appel à l'entente et à la tolérance. Nous parlons au nom de la très grande majorité de nos populations. Nous nous élevons avec toute la rigueur requise contre les extrémistes qui, dans nos pays, ne poursuivent qu'un seul objectif : enfoncer un coin profond entre nos sociétés islamiques et chrétiennes. Nous comprenons l'indignation que ressentent nombre de musulmans dans le monde entier. Nous comprenons la réaction de tous ceux qui protestent pacifiquement contre la diffamation de leur religion. Nous n'en sommes pas moins unanimes à dire que rien ne justifie les explosions de violence de ces derniers jours. La violence n'est pas la bonne réponse à de fausses pratiques. Nous devons user de notre liberté dans un esprit de responsabilité. La liberté d'opinion est l'un des biens les plus nobles de toute démocratie. Et c'est précisément parce qu'elle joue un rôle si important qu'il ne faut pas en abuser pour propager la haine et le fanatisme et porter atteinte au cadre de notre vie en commun. Le printemps arabe a balayé les régimes autoritaires en Tunisie et dans quelques autres pays arabes. Une chance peut-être unique s'offre de construire sur les ruines de l'ancien régime autocratique des communautés d'un type nouveau vouées à la démocratie et au pluralisme, mais seulement si cela est fait avec sérieux. Aussi, faut-il s'opposer à ce que cette nouvelle liberté conquise au prix de tant d'efforts soit utilisée de manière abusive comme une invitation à s'attaquer violemment à ceux qui pensent différemment et à ébranler les fondements de l'ordre public. Partie de Tunisie, la révolution s'est répandue comme une traînée de poudre dans d'autres pays arabes. Le processus de changement en profondeur déclenché par la révolution du jasmin est engagé avec succès, ce qui offre la chance historique de donner une nouvelle qualité aux relations privilégiées entre les cultures sur les deux rives de la Méditerranée, des relations fondées sur la tolérance et le respect mutuel. Ensemble, nous sommes confrontés à des tâches d'envergure et devons relever de grands défis : il s'agit de trouver des solutions pacifiques pour régler les conflits au Proche-Orient, dont le plus grave est actuellement l'horrible crise qui sévit en Syrie. Il s'agit d'offrir à la population de véritables perspectives de vivre dans la dignité et la sécurité. Et il s'agit de poursuivre nos efforts pour instaurer une culture de tolérance, de dialogue et de respect au sein de nos sociétés et entre nos peuples. Nous ne devons pas tolérer que des forces extrémistes viennent réduire à néant les chances immenses que représentent la vitalité de notre coopération et notre désir de vivre ensemble en partenariat en tant que nations et en tant que peuples. Nous aspirons tous à un monde fondé sur des valeurs, la tolérance, l'intégration et la reconnaissance mutuelle, bien loin de la haine, de la violence et du fanatisme sous toutes leurs formes. *(Guido Westerwelle et Rafik Ben Abdelssalem, sont respectivement ministre allemand et ministre tunisien des Affaires étrangères)