Sorti en 2003 et remarqué à la Quinzaine des réalisateurs de Cannes et à la compétition officielle des festivals de Tokyo et de Toronto, Sansa de Siegfried est un film qui mérite d'être vu dans une salle de cinéma. Les gérants du Ciné Mad'art l'ont compris et ont organisé, mardi dernier, une projection de ce film en présence de son réalisateur. Cet événement, au-delà du plaisir de la découverte de l'œuvre extrêmement belle et poétique qu'est Sansa, nous rappelle avec amertume la réalité de la rareté des salles de cinéma en Tunisie, privant les cinéphiles et le public, en général, de cette ouverture sur le monde et sur eux-mêmes. Avec les Journées cinématographiques de Carthage (JCC) qui approchent, espérons que la question pourra être sérieusement soulevée pour que des mesures soient prises, même si l'actualité en détourne les regards et que la priorité des preneurs de décision semble se diriger ailleurs. Il suffisait d'entendre le public pendant le débat qui a suivi le film... Certains d'entre eux avaient déjà vu le film en DVD, mais ont affirmé le voir, ce soir-là, sous un angle différent, comme si c'était la première fois. Et même si Siegfried appelle à ce que son film soit piraté pour être vu par le maximum de gens, cela ne change rien au fait : un film est fait pour être vu dans une salle de cinéma. Ceci étant dit, Sansa porte l'empreinte du parcours hors du commun de son auteur. «Siegfried, connu également sous le diminutif de Sig, a suivi des études musicales de violoncelle, percussions et piano. Après de longs périples à travers le monde, il devient cinéaste et compositeur». Quant à Sansa, son personnage principal campé par Roschdy Zem, c'est un peintre dont la caméra suit les déambulations depuis les rues de Paris et jusqu'en Afrique, en passant par l'Espagne, l'Italie, le Portugal, la Hongrie, la Russie, l'Inde et le Japon. Dans chaque ville, les traits et les visages changent, mais les regards sont les mêmes. Siegfried affectionne en particulier ceux des sans-abri et des clandestins, dont les visages venus d'ailleurs racontent bien des histoires. Sansa leur rend hommage à chaque passage de frontières, où le réalisateur insiste sur la lourdeur des formalités, nous rappelant sans cesse que le monde est réduit à une parcelle coupée en petits morceaux. Les habitants de chaque morceau en sont parfois les prisonniers. Mais Sansa affirme être libre, sans attaches. Au gré de ses déplacements, il ne cherche pas l'amour, il le trouve. C'est un personnage constamment amoureux, un révélateur de beauté. Il donne la réplique au violoniste Ivry Gitlis qui joue son propre rôle dans le film, tout en étant une sorte d'alter ego pour le héros du film. Les deux personnages se croisent tout au long de l'itinéraire du voyage qui les réunit, jusqu'à une fin ouverte. «Le film restera inachevé», annonce Siegfried dans le générique fin. Il lui aura quand même consacré quatre ans, dont un de montage. Il n'était pas facile pour lui de rassembler les fils de son histoire, comme il l'a expliqué lors du débat. Filmé en 16mm, Sansa est une œuvre qui rêve l'humanité. Sa musique —composée par Siegfried et Ivry Gitlis— aidant, le film est comme une symphonie qui traverse les continents. L'improvisation semble y être le maître mot, à travers le montage, les dialogues et le jeu des personnages mais le réalisateur nous apprend que même l'improvisation demande énormément de préparation. «J'ai écrit 400 pages avant de commencer à filmer», affirme-t-il. C'est un film sur la musique, le cinéma, l'art et la vie. C'est une autre façon d'écrire et de voir le monde que Siegfried nous offre au final. Et il encourage à ce que son film soit vu en DVD. Vous savez ce qui vous reste à faire...