Le documentaire Al moukhtafoun (les disparus) a été projeté, hier matin, au ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, en présence de M. Samir Dilou, ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, de personnalités politiques ainsi que de militants des droits de l'Homme et de la société civile. La projection de ce film d'une durée de 70 minutes, réalisé par la Tunisienne Imen Ben Hassine, ne vient commémorer aucune date ni événement particulier. Il s'inscrit, selon le communiqué du ministère, dans ses efforts pour participer au processus de rétablissement de la vérité et de la justice transitionnelle, et surtout pour rendre justice aux victimes de la répression. En fait, ce film est produit par Al Jazeera Documentaire et la chaîne a préféré le montrer en Tunisie avant de le passer dans ses studios, «parce que ce pays est l'initiateur des révolutions arabes, parce que son sujet le concerne directement et parce qu'il répond à la vision de la chaîne et sa volonté de documenter des épisodes peu connus de l'Histoire», a expliqué Ahmad Mahfoudh, son directeur, qui s'est exprimé avant la projection. Il était présent en compagnie du directeur du Centre d'Al Jazeera pour la formation et le développement et du journaliste de la chaîne Sami Alhaj, ancien détenu de Guantanamo. La séance s'est également déroulée en présence de la réalisatrice et de ses protagonistes. Ces derniers viennent de trois familles dont les fils étaient recherchés dans les années 80 et 90 et qui ont dû vivre cachés, dans la peur. Leurs témoignages, des images d'archives et des reconstitutions sont le principal menu du film qui obéit à la structure classique des documentaires télévisuels, en particulier ceux produits par la chaîne qatarie. L'ouverture se fait sur des images d'archives illustrant la lutte des mouvements estudiantins des années 80, suivies de l'introduction des personnages par leurs témoignages sur leurs parcours respectifs depuis l'enfance, dans quel cadre ils ont été élevés et comment ils ont intégré l'activité politique qui leur a valu la poursuite de la police politique. Des témoignages émouvants et bouleversants sur les répercussions de ce contexte de terreur sur la vie de famille. Tous les membres ont dû adapter leur vie et même leurs activités professionnelles aux besoins de leur fils ou frère caché, parfois au sein même de la maison, aux risques et périls de tous et en adoptant des plans géniaux, faisant modifier l'architecture des chambres pour y placer des cachettes invisibles. A part ces témoignage — rehaussés par les scènes de reconstitution — et qui sont la véritable force du film, ce dernier ne s'élève pas au rang de document historique ou d'archives. La recherche qui l'a accompagné semble très approximative et le placement des événements dans leur contexte très évasif, sans détails précis. Il n'y a en fin de compte que les mots des protagonistes qui ont du poids, celui de la souffrance et de l'injustice qu'ils ont connues, à l'image de toute une génération. La réalisatrice Imen Ben Hassine, à laquelle le projet a été proposé par Al Jazeera, affirme qu'elle a présenté les personnages d'un point de vue humain, sans considérer leur appartenance politique. Elle a pourtant été accusée, à cause du film, de falsifier l'histoire et de la présenter sous un angle étroit, celui d'un unique parti auquel appartiennent les protagonistes et qui n'est autre que le mouvement islamiste de l'époque. C'étaient les mots de l'un des présents qui a interrompu Samir Dilou pour protester après la fin de la projection. Le ministre y a répondu en rappelant que l'événement organisé par son ministère a connu la participation de représentants de toutes les tendances politiques et qu'il n'est pas dans l'intérêt de tous de mettre des bâtons dans les roues des efforts de la justice transitionnelle. Après quoi un hommage a été rendu aux protagonistes d'Al moukhtafoun et leurs familles, ainsi qu'à la réalisatrice, auxquels a été remis le blason de la vérité et de la dignité du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, qui s'est vu décerner à son tour le blason d'Al Jazeera Doc. Tout cela engendre un air de déjà vu. En effet, il y a de cela quelques mois la présidence de la République a rendu hommage au leader Salah Ben Youssef en projetant le documentaire d'Al Jazeera Salah Ben Youssef, un crime d'Etat ? Ce qui nous ramène à avoir le même point de vue, que la justice transitionnelle devrait se baser sur des enquêtes et des documents scientifiques, après quoi on pourrait estimer vouloir rétablir la vérité, et de laisser les documentaires télévisuels à leurs télés. Pareilles œuvres visent à rétablir la justice certes mais elles ne répondent pas aux vraies questions sur l'identité des bourreaux, et restent souvent au niveau du politiquement correct.