Hier, le rideau est tombé sur la 29e édition de la Foire internationale du livre de Tunis. Une occasion pour restituer le pouls d'une journée passée entre les stands des marchands de l'esprit. Reportage. Mardi 6 novembre. La Foire du livre de Tunis en était à son cinquième jour. Elle est passée par un week-end d'ouverture animé et un lundi médiocre, selon la responsable du stand d'une maison d'édition tunisienne, occupant une place de choix à l'entrée du hall 2, non loin de ceux du ministère de la Culture et de la Bibliothèque nationale. Cette maison d'édition propose des œuvres d'écrivains tunisiens, mais surtout des remises allant jusqu'à 45%, et elle n'est pas la seule. D'importantes réductions sont en effet appliquées par de nombreux exposants de la foire, parmi les 112 exposants tunisiens, et à moindre degré parmi les 205 autres exposants en provenance de 19 pays. Est-ce à percevoir comme un signe de bonne santé de la première édition après la révolution? Ou est-ce une façon de contourner ses faibles recettes? En tout cas, à vue d'œil, le niveau des ventes semble en dents de scie. Familles, groupes de jeunes et moins jeunes, quittent les halles chargés de quantités de livres, plus ou moins volumineuses. Cependant, force serait de reconnaître que les livres religieux ont volé la vedette aux autres disciplines, cette année. Habillés à la façon des talibans, ce sont essentiellement ces visiteurs qui jettent leur dévolu sur ce genre d'édition. C'est à se demander d'où vient ce pouvoir d'achat spécifique à cette catégorie de lecteurs, en ces temps de crise. Ce qui est sûr, c'est qu'ils ont largement le choix. Leur thème favori domine les titres exposés. La pléthore de livres religieux ne passe pas inaperçue, sachant qu'il y en a quand même pour tous les rites. Il faut juste chercher, parfois avec acharnement, pour trouver la perle rare. L'art en rade La tâche n'est pas facile également pour ceux qui ciblent les livres d'arts. L'offre n'est guère pléthorique et la diversité n'est pas au rendez-vous surtout pour les éditions en langues étrangères. Au grand dam des visiteurs en quête de ce genre de littérature, les exposants arabes n'en proposent pas non plus. Cela revient, selon un enseignant universitaire qui cherchait des livres sur le cinéma, au «manque de références en la matière dans le monde arabe». Force est de constater, en effet, que la plupart des livres d'art en langue arabe ne sont que de simples traductions. Sinon, la foire propose, comme à l'accoutumée, un panorama de livres d'enfants, de livres scolaires et parascolaires et de jeux éducatifs, et les principales œuvres de la littérature classique, arabe et francophone, avec l'apparition d'un nouveau rayon consacré aux livres sur la révolution. «Il y en a beaucoup, de très bons livres mais aussi de très mauvais, vu qu'il y en a pas mal à compte d'auteur», estime un éditeur tunisien interviewé par une radio sur place. Il ajoute que les thématiques dominantes sont à l'image de l'actualité politique, en Tunisie comme dans le monde arabe. Mais les visiteurs de la foire ne sont pas tous venus pour ce produit. Comme cette jeune fille venue avec sa mère et sa sœur et qui rentre déçue, parce qu'elle n'a pas trouvé de romans en anglais, en particulier ceux qui sont adaptés en séries américaines, a-t-elle expliqué. Tout ce qu'elle s'est achetée est un livre d'Al Jahedh. Un nouveau lectorat semble émerger en Tunisie, sans trouver sa nourriture littéraire... A côté de la maison d'édition tunisienne visible dès l'entrée, le grand pavillon de l'Egypte, invité d'honneur de cette 29e édition, se dresse majestueusement. Derrière lui, le stand de l'Arabie Saoudite, qui, auparavant, accaparait le meilleur emplacement. Un stand désormais réduit, représenté principalement par les grandes universités du pays. Les livres qui y sont exposés concernent l'histoire du pays et de ses dirigeants, mais on y trouve aussi des livres sur la religion, qui sont d'ailleurs les plus sollicités par les visiteurs de ce stand, selon l'un de ses responsables. Une adolescente arrive, lui demande timidement s'il dispose d'un livre sur “Al-isra wal mi'raj". La réponse est négative. Comme la plupart de ses autres exposants, on applique dans ce stand des réductions intéressantes. Cette pratique ne fait pas que des heureux. Un exposant syrien se plaint du non-respect des prix et des grandes marges de remises accordées. Il explique qu'il paye des charges onéreuses pour pouvoir se déplacer et participer à la foire, venant de surcroît d'un pays où le livre ne se vend plus, étant donné les circonstances. La Syrie est pourtant le troisième pays le plus représenté, après la Tunisie et l'Egypte, avec 29 exposants. Cet exposant a pourtant des choses à dire. Concernant l'organisation d'abord, depuis le manque de services, jusqu'à la perte de livres pendant la livraison. Selon lui, la censure a disparu mais il n'y a pas assez de publicité pour la foire cette année, et cela se répercute sur les ventes. Lui, qui a fait le tour de nombreux salons de livres de par le monde, s'étonne de ne pas trouver la liste informatisée des livres disponibles dans les stands, pour faciliter la tâche des visiteurs, comme il n'y a pas d'affichage du plan de la foire. Ce dernier est tout de même disponible et téléchargeable sur le site internet de la foire, où l'on trouve également le programme quotidien. Par rapport à ses objectifs, cités également dans le site internet, cette 29e foire internationale du livre de Tunis a su maintenir le cap par rapport aux éditions précédentes, en proposant surtout une variété de rencontres, de colloques, d'ateliers et d'espaces destinés aux enfants. Mais ce n'est pas le volet découverte qui en sort gagnant. On ne met pas assez en valeur les nouvelles tendances littéraires ni les littératures lointaines, ni en dressant la liste des exposants, ni dans le programme parallèle. Cette édition organisée exceptionnellement en novembre, cette année, n'a pas été exceptionnelle.