En pleins débats à la Constituante sur la loi organique relative à la nouvelle Isie, les récentes fuites auxquelles on a assisté à partir d'un rapport préliminaire de la Cour des comptes et concernant la gestion administrative et financière de l'ancienne Isie n'ont pas manqué de susciter des interrogations au sujet de leur «timing». Kamel Jendoubi, le président de cette structure, qui est pressenti par ailleurs pour assurer la présidence de la nouvelle, s'est exprimé à ce sujet, ainsi que les responsables de ladite Cour. Pour ces derniers, ce qui est contenu dans le rapport utilisé était d'autant moins à divulguer qu'il s'agissait d'un texte non définitif. Des recommandations auraient été faites dans ce sens, du reste, au moment où le texte a été communiqué au gouvernement, et ce, par le chef du gouvernement lui-même... Le vice-président de la Cour des comptes s'est défendu clairement contre toute animosité à l'égard de l'ancienne Isie, estimant par ailleurs que de telles fuites ne sauraient émaner d'un des membres de la Cour. Ce qui, en toute logique, tend à orienter l'origine des fuites plutôt du côté du gouvernement lui-même... Mais on se garde bien sûr de toute affirmation directe ! Du côté de Kamel Jendoubi, l'utilisation politicienne ne fait pas de doute et vise manifestement à peser sur les débats en cours. Car une bataille se profile autour de la question de l'indépendance de cette instance et il semble que deux modèles soient en concurrence dont l'un consacre le principe de l'indépendance de l'Isie, tandis que l'autre met plutôt l'accent sur la représentativité politique de ses membres. Pour Boubaker Ben Thabet, coordinateur général de l'ancienne Isie, cette bataille est réelle et traduit surtout l'attachement de certains à une conception classique de structures telles que les instances qui régissent le fonctionnement des médias, de la magistrature ou des élections. «Nous avons affaire à des discours qui considèrent que l'indépendance est une exigence excessive : elle créerait, dit-on, un Etat dans l'Etat... Il faudrait donc remettre les compteurs à zéro dans la définition de la nouvelle structure...» Or, fait-il remarquer, le rôle d'arbitre suppose l'indépendance par rapport à l'Etat : «Ce statut d'arbitre, soit on l'a, soit on ne l'a pas : il n'y a pas de milieu !» A vrai dire, les motivations de ceux qui sont à l'origine des fuites et, surtout, de ceux qui ont fait de ces fuites la matière d'une campagne de dénigrement contre l'ancienne Isie, ces motivations sont doubles. Il s'agit d'une part d'un réflexe de conservatisme dans la vision du fonctionnement des institutions et, d'autre part, une volonté d'accorder à certains partis un avantage dans l'opération de contrôle des élections... En effet, moins indépendante, l'Isie sera nécessairement sous la coupe de l'Etat. Et, par conséquent, sous celle des partis de la majorité qui le dirigent... «Il est compréhensible, poursuit M. Ben Thabet, que ces partis cherchent à se doter des avantages qui leur permettront de se présenter aux élections avec le maximum de chances. Mais il appartient à l'instance qui arbitre de garantir les chances de l'ensemble des partis, y compris des partis absents... Surtout des partis absents. Sans quoi on ôte à la démocratie la possibilité d'être un moyen pacifique d'alternance au pouvoir». Les débats au sein de l'ANC devant se poursuivre dans les jours à venir au sujet de la nouvelle Isie, on aura une idée plus précise sur la façon dont cette bataille autour de l'indépendance est menée : voulons-nous une Isie indépendante du pouvoir, capable vraiment de mettre l'Etat sous le feu de ses questions en cas de besoin et garante de l'équité du processus électoral face à la communauté nationale, ou voulons-nous une Isie qui demeure sagement comme une émanation de l'Etat et de ses prérogatives, avec toutes les dérives possibles que cela signifie ? En attendant, ce qu'il faut retenir, c'est que les auteurs des fuites, qui peuvent se targuer de mettre fin au mythe d'une ancienne Isie au-dessus de tout soupçon, s'inscrivent dans une démarche purement inamicale, puisque la procédure en matière de contrôle administratif et financier suppose que l'Isie soit invitée à s'expliquer sur certaines irrégularités relevées avant que ces dernières soient entérinées en tant que telles dans le rapport final : or les fuites interviennent avant que l'instance incriminée n'ait pu apporter la moindre réponse aux reproches qui pourraient lui être faits. On apprend à ce sujet que l'Observatoire national de l'indépendance de la magistrature vient d'appeler à l'ouverture d'une enquête au sujet de ces fuites. Il considère, dans une déclaration rendue publique, «qu'il s'agit d'un grave incident qui aura un impact négatif direct sur l'indépendance et l'impartialité de la justice financière et le caractère confidentiel de la mission de la Cour des comptes».