Les représentants des ligues de protection de la révolution assiègent le Tribunal de Tataouine, font pression sur les juges et menacent les témoins. Appel à la dissolution des ligues de protection de la révolution et à la neutralité des ministères de souveraineté. Lors d'une conférence de presse donnée, hier matin au siège de leurs partis, Taïeb Baccouche, Ridha Belhaj et deux avocats de la défense ont prévenu contre un probable détournement du cours de l'affaire Lotfi Nagdh... «L'affaire peut prendre une orientation contraire à la vérité des faits qui se sont déroulés le 18 septembre à Tataouine... Et c'est ce qui a poussé la défense à demander le transfert du dossier d'instruction à un tribunal de Tunis», annonce le secrétaire général de Nida Tounès, Taieb Baccouche à l'ouverture de la conférence de presse donnée au siège de son parti sur la violence politique en général et les derniers rebondissements de l'affaire Lotfi Nagdh, en particulier. « Après quelques semaines de retrait, les ligues de protection de la révolution sont revenues à la charge à Tataouine; harcèlements, pressions sur les témoins et sur les avocats, changement du premier juge d'instruction, départ en congé du deuxième juge...» Dévoilant «la montée de la pression» et «l'absence de sérénité» qui entourent l'instruction, le directeur exécutif, Ridha Belhaj, a expliqué que cette demande de transfert adressé au juge de cassation s'appuie sur l'article 294 du code pénal. Demander à transférer une affaire d'un tribunal à un autre suppose en effet une dérogation à la règle de la territorialité des affaires et des tribunaux organisée par l'article 249 du code pénal qui délimite les cas de cette dérogation: notamment l'absence des conditions favorables à un déroulement serein de l'instruction. «Ils ont dressé une tente devant le tribunal, ils portent des dossards jaunes et leurs slogans nous atteignent en pleine audition...» Ces conditions, Me Hassine Zergui et Me Ezzeddine Bougarras, membres du collectif de la défense dans l'affaire Lotfi Nagdh sont bien placés pour les décrire. Ils reviennent du tribunal de première instance de Tataouine où la dernière séance d'audition a eu lieu mardi dernier . «Il y a des constantes dans cette affaires : deux juges ont été soumis à la pression et ont dû se retirer et c'est un troisième qui s'occupe de l'instruction. Les membres de la ligue de protection de la révolution qui se sont retranchés après le meurtre sont maintenant revenus à la charge». Tataouine est une petite ville où tout le monde connaît tout le monde, où il est difficile de veiller à la confidentialité de l'instruction et où les menaces, les pressions et les peurs qui s'ensuivent se répercutent rapidement et aisément, plaident les avocats, preuves à l'appui : «Plus de soixante personnes assiègent maintenant le tribunal de manière continue. Ils ont fini par dresser une tente juste en face. L'armée et la police sont là mais n'interviennent jamais pour les éloigner. Ils exercent en toute impunité. Ils portent les mêmes dossards jaunes et affichent des banderoles et crient des slogans excessivement violents. Même à l'intérieur de l'enceinte du tribunal et jusqu'à la salle d'audition nous entendons leurs slogans. Il est pratiquement impossible aux séances de se dérouler normalement. Outre l'effet de ce harcèlement sur les témoins et sur le juge, on est en l'absence des conditions élémentaires du déroulement d'une instruction». Question de faire la lumière sur cette affaire, le collectif d'avocats vient d'adresser sa demande de transfert de l'affaire au juge de cassation. La requête date à peine de 48 heures et la réponse, sans conditions ni délais, relèvera entièrement de la discrétion du juge. En attendant, Me Zergui et Me Bougarras attirent l'attention sur «l'extrême complexité de l'affaire et sur la nécessité de protéger les témoins». «Si les ministères de la justice et de l'intérieur étaient neutres, il n'y aurait pas eu toute cette violence...» C'est sur «l'impératif de la dissolution des ligues de protection de la révolution» que reviendra Ridha Belhaj. «Suivant l'avancement de l'instruction, nous allons intenter un procès pour la dissolution de ces structures en ce qu'elles ont dévié de leurs objectifs de composantes de la société civile». Sur l'éventualité de porter l'affaire devant une cour de justice internationale, Belhaj affirme que ce ne sera fait qu'après épuisement de toutes les voies de recours internes. Replaçant l'affaire dans son contexte politique et son cadre général, Taïeb Baccouche annonce la dernière agression perpétrée, avant hier, contre un autre militant de son parti. «Ce sont des milices aux mains de deux partis au pouvoir. Nous demandons leur dissolution parallèlement à notre appel à la neutralité des ministères de souveraineté, car cette neutralité est une condition élémentaire lors d'une transition démocratique». Pour le secrétaire général, une chose est sûre : «Si les ministères de la Justice et de l'Intérieur étaient neutres, il n'y aurait pas eu toute cette violence...»