Quand il y a bien plus de choses qui nous unissent que de choses qui nous séparent, le bon sens veut que l'on cherche toujours à cultiver ce qui nous unit et à aplanir ce qui nous sépare. Nous n'avons du reste guère d'autre choix quand c'est à la fois la géographie et l'histoire qui nous y invitent avec insistance...même si nous ne partageons pas toujours certaines valeurs. Notre appartenance à un espace commun, la Méditerranée, cette proximité naturelle, eh bien elle nous condamne en quelque sorte à coopérer positivement et sans cynisme. Pour l'Union européenne, la Tunisie n'est certes ni l'Inde ni la Chine, ni l'Algérie ni le Maroc, mais la Tunisie, ce petit pays aux dimensions et aux enjeux politiques, diplomatiques, sociaux et économiques minuscules, il est vrai, à l'échelle planétaire et même européenne, demeure pour l'Europe un vis-à-vis stratégique et un port d'attache dans la rive sud de la Méditerranée pour avoir historiquement joué un rôle de tampon et de médiateur actif dans toute la région. Un aussi précieux voisin mérite en toute logique et tout naturellement qu'on l'élève au rang de partenaire privilégié... Il se trouve cependant que le «cadeau» que l'Union européenne vient de faire à la Tunisie procède plus du cynisme que de la générosité et qu'il est manifestement indigne de ce que peut sincèrement offrir une grande puissance à un voisin dont elle sait la fragilité actuelle et les défis auxquels il est aujourd'hui confronté en termes de croissance, d'emplois, de développement régional et de justice sociale. Au cœur de cette fragilité se trouve en l'occurrence foncièrement une question de capacité de financement de l'économie et de soutien à la compétitivité des entreprises tunisiennes. Rien qu'à ce double niveau, le cadeau que fait l'Union européenne à la Tunisie a les couleurs d'un cadeau empoisonné. Passe encore la libéralisation des secteurs de l'agriculture et des services, un véritable rouleau compresseur pour nos petits et grands agriculteurs, petits et grands banquiers et assureurs..., mais que le partenariat «privilégié» avec l' Union européenne impose au pays et à son tissu productif de se plier aux exigences et aux normes «techniques» européennes en matière de commerce extérieur, voilà qu'à coup sûr ce qui est propre à tuer le secteur national de l'exportation, à creuser encore plus dramatiquement le déficit de la balance commerciale et de la balance des paiements du pays. Pour la Tunisie, ce cadeau est aujourd'hui inopportun, du moins dans sa forme actuelle. Il faudrait savoir oser le dire avec toute la délicatesse et la diplomatie requises. Au risque de voir l'Union européenne rétorquer que c'est la Tunisie qui, pour des raisons foncièrement politiques, avait toujours couru après ce «statut privilégié». Surtout que l'attitude de l'Union européenne donne aujourd'hui à croire qu'elle cherche à tirer promptement et précipitamment profit de la fragilité présente de la Tunisie bien plus qu'elle ne l'avait fait en 1995 lors de la signature de l'accord d'association et de partenariat tuniso-européen.