Le propos —en l'occurrence la pauvreté— peut paraître très galvaudé pour avoir été exploré jusqu'à l'usure dans tous ses plis. Reste néanmoins l'angle choisi qui, lui, peut ou non, donner à la fiction une originalité certaine. Le jeune réalisateur Anis Lassoued a donc traité de la pauvreté qui sévit dans les régions reculées de la Tunisie. Mais loin de chercher à émouvoir au risque de tomber dans le pathos le plus plat, il a tenu à souligner les distances —géographiques et surtout statutaires— qui séparent les individus d'un même pays. Nous sommes dans une région montagnarde, probablement au Nord-Ouest de la Tunisie. Dure et un peu trop austère est la vie ici. Pour faire la moindre petite course puis rentrer chez soi, il n'y a que deux manières de le faire : ou monter ou dévaler les collines. Ces villageois sont des Sisyphe nés. Mais on fait avec. On s'habitue à tout, même à la misère la plus noire. On ne demande pas trop à la vie, puisque, depuis la nuit des temps, le sort est déjà bien scellé. Ce n'est que lorsqu'on s'avise de demander au sort ce qu'il ne peut offrir que la prise de conscience de sa situation se révèle soudain dramatique. Le petit Nader n'a que dix ans. Son bonheur, en ce mois de Ramadan, est de parvenir à vendre tous les jours les feuilles de brik (malsouqa) que prépare sa maman. Nader n'est pas malheureux du tout. Il arpente au quotidien la montagne de long en large, de bas en haut, et réussit à écouler sa marchandise. Là commence et se termine son bonheur. Il rit. Il vit. Et court!.... Il court, le petit Nader. Il y a dans ses courses comme un désir ardent de briser les distances, d'y arriver à bout, d'en finir avec. Jusqu'au jour où son désir le plus profond butte contre la réalité dramatique de sa famille. Que peut espérer un enfant né dans une famille bourgeoise?... Peut-être bien un voyage aux USA... Ou un enfant issu d'une famille tout simplement moyenne?... Peut-être bien un vélo... Nader n'en est pas là. La distance qui le sépare des enfants de familles plus ou moins nanties se calcule, sur les plans géographique et matériel, en des centaines de kilomètres. Non. Nader, à cinq jours de l'Aïd El Fitr, ne demande rien qu'une paire de souliers parés d'une certaine ornementation. Une paire de souliers que, proposée au souk à 40 dinars, son père ne peut lui offrir. La scène entre l'enfant —qui tient beaucoup à cette paire de chaussures— et le père —qui s'excuse de ne pouvoir la lui acheter— est, de part et d'autre, déchirante. Il ne reste plus à Nader que le droit au rêve. Il fait un rêve des plus beaux où il se voit enfin chaussé de ces godillots à clochettes qui vont le transporter comme sur les ailes du vent. Maintenant, il ne court plus. Il vole! Il plane sur ces montagnes avec le sentiment magique de les avoir laissées bien bas en dessous de ses... chaussures. Il est beau ce court-métrage, dans la mesure où il laisse grande ouverte la porte face à l'espoir, au rêve, à l'optimisme. Et on ne peut qu'applaudir, à l'occasion, la prestation (probablement la quatrième au cinéma) du comédien Farhat Jedid dans le rôle du père.