Les habitats de la ville exigent des investissements et non des aides d'assistanat A Siliana, l'on trait les vaches sans jamais boire de leur lait. Là-bas, la révolution du pain n'a rien changé. Car les pauvres sont devenus plus pauvres et le taux de chômage est toujours de 23%. Siliana ou « le grenier de Rome», comme l'appellent certains, youssefiste, était haïe par Bourguiba, puis marginalisée par Ben Ali. Aujourd'hui, elle est toujours oubliée par le gouvernement en place. Voilà les « tristes aveux » de bien des hommes rencontrés, hier, sur « la route de la mort » desservant Tunis et la ville en question et d'autres hommes révoltés croisés au cœur de l'avenue de la République. Reportage. Jeudi 13heures, sur la route de l'imprévisible, une route beaucoup moins propice à la marche qu'une piste agricole, des marées humaines et des véhicules en provenance de Bouarada cheminent en direction de Siliana. «Gouverneur, dégage, Jebali dégage», entonnent les uns, «Nous nous sacrifierons tous pour toi Siliana », lancent les autres. A quelque 500 mètres de l'entrée de la ville où stationnent bon nombre de patrouilles et des centaines d'agents de sécurité, la foule s'arrête, se réorganise, avant de reprendre la marche. Certaines voies s'élèvent, rappelant l'accord de principe : «une marche pacifique sans provocation aucune ». De l'autre côté, juste derrière les forces de l'ordre, une foule massive siffle, hurle pour finalement exiger le passage de leurs hôtes, de ces hommes qui ont fait 36 km à pied, venant soutenir une cause commune : le développement régional et le départ du gouverneur. Plus la foule s'approche des lieux où campent les patrouilles, plus l'ambiance est embrasée de l'autre côté. Mais, contrairement aux estimations de la plupart de l'assistance, les hommes font leur traversée sans mal aucun et le cortège s'élargit avec l'adhésion de ceux qui étaient à l'accueil. Destination finale : le siège de l'Union régionale du travail (URT), à l'avenue de la République. Revendications économiques et sociales Là-bas, au cœur d'une ville en grève générale pour la troisième journée consécutive, une ville où tout a été hors-service, à l'exception de quelques pharmacies, boulangeries, petits commerces et l'hôpital régional qui ont gardé leurs portes ouvertes, des voix révoltées s'élèvent de tous bords. Toutes les délégations y sont. Bou Arada, Gaâfour, Sidi Bou Rouiss, El Krib, Makthar, Kesra, Lakhouet exigent, à travers leurs représentants, le départ du gouverneur et l'équité en matière de développement régional. Pour eux, les récentes déclarations du chef du gouvernement provisoire et du ministre de l'Intérieur n'ont fait qu'attiser le feu, vu leurs « tons arrogants défiant toute une population depuis toujours difficile à dompter ». Pour Salah tout comme pour Karim et Khemaïs croisés au cœur de la foule, « Siliana, la ville d'Ali Ben Ghdahem, d'Ahmed Ibn Abi Dhiaf, la ville où Ben Ali a fait parvenir ses parachutistes dans les années 90 pour mâter les soulèvements d'alors, la région où Hannibal a perdu sa dernière bataille ne courbera point l'échine devant ses oppresseurs ». Leur version des évènements est autre que celle du ministre de l'Intérieur : « Contrairement à ce qu'il a déclaré dans les infos de 20 heures, notre marche de protestation était pacifique et ce sont ses hommes qui ont commencé la provocation. Ses hommes n'ont eu de cesse de vociférer des propos acerbes et insultants sur fond de gestes impudiques à l'égard de tous, sans le moindre respect pour nos femmes et nos vieux. Leur descente la veille vers 21 heures (dans la nuit de mercredi à jeudi) dans les cités Salah et Gaâ El Mezoued en est la preuve. Allez en parler avec les femmes et les jeunes, ils vous en diront plus sur notre nouvelle police. Nous ne reviendrons plus sur nos principales revendications : la démission du gouverneur et un vrai développement régional». Des revendications reprises par le secrétaire général de l'Union régionale du travail Néjib Essebti Jebali qui a affirmé en présence de certaines figures politiques de l'opposition dont Ahmed Brahim et Hama Hammami que le gouverneur est en panne de communication non seulement avec les habitants de la région, mais aussi avec l'Union régionale du travail. «Ce responsable refuse le dialogue et n'accepte de voir personne dans son bureau. On a constamment essayé d'ouvrir les canaux du dialogue avec lui. Mais, à chaque fois, il n'a fait qu'enfoncer le clou en gardant la même position. A Siliana, ça stagne à tous les niveaux, voilà les dessous de l'embrasement». Point de développement régional sans investissements Une position remarquablement approuvée par ce maîtrisard en sciences mathématiques qui pense que la goutte qui a fait déborder le vase était l'usage démesuré de la force par les agents de sécurité. «Leurs recours aux grains de chevrotine a embrasé la situation. Avec 256 blessé, 19 cas atteints au niveau des yeux et un jeune qui a perdu la vue, l'on se demande si c'est avec ce genre de conduite que l'on va fonder une police républicaine ». Le développement régional, tel que vu par ce maîtrisard au chômage, tout comme ses trois frères diplômés du supérieur, est tributaire d'investissements industriels et non de quelques aides accordées sous forme d'aumône. «A Siliana, nous avons trois usines fermées. Pourquoi ne pas les exploiter pour abriter des industries agroalimentaires. Ici, l'on sème le blé en septembre, puis, nous voyons, impuissants, les récoltes transportées dans d'autres régions, l'été. Qu'ils le sachent, le développement régional ne se conçoit pas dans les bureaux, mais plutôt à partir du terrain». Dans ce sens a également abondé Hama Hammami. «Je suis là aujourd'hui pour exprimer notre totale solidarité à El Jabha Echaâbia (Front populaire) avec ces hommes qu'on veut écraser, rien que parce qu'ils ont revendiqué un droit légitime, une vie digne sur la base de l'équité régionale. Nous exigeons que les coupables dans des violations à l'égard de notre peuple comparaissent devant la justice». Par ailleurs, donnant leur version des faits, deux agents de sécurité opérant à Siliana ont affirmé que les forces de l'ordre accusées de tous les maux sont restées impartiales lors des évènements secouant la vile. «Certains jeunes ont commencé la provocation. Du coup, quelques nouveaux agents inexpérimentés parmi ceux recrutés après la révolution ont réagi. Nous resterons après tout les enfants du peuple et nous demeurerons à l'écart des tiraillements politiques».